Le château de Longchamp

Au cœur du bois de Boulogne, juste au nord de l’hippodrome de Longchamp, isolé par une petite rivière de la route des Lacs à Passy, se dresse un château de pierre blanche, au fronton classique. La façade sud, la plus visible, paraît soigneusement close. La façade arrière laisse toutefois pénétrer les visiteurs sans leur demander beaucoup d’efforts. Cependant, il faut au moins l’enthousiasme des néophytes en exploration urbaine pour se passionner en visitant cette bâtisse récente aux pièces banales et décorées sans âme. En revanche, juste à l’ouest se dresse une curieuse tour qu’on pourrait croire médiévale, couronnée d’un crénelage qu’on n’était plus habitué à voir dans Paris depuis la destruction de la Bastille. Quelle est donc l’histoire de ce bizarre apparentement ?

Fondée au XIIIe siècle, l’abbaye royale de Longchamp englobait un large terrain s’étendant de la Seine à, grosso modo, la limite actuelle de Paris, terrain où s’éparpillaient les bâtiments conventuels, leurs annexes et dépendances et, entre autres, un pigeonnier. Abandonnée par force en 1792, ne trouvant pas d’acquéreur, l’ancienne abbaye fut détruite deux ans plus tard, à l’exception du pigeonnier. Vers 1855 Napoléon III offrit le terrain qui nous occupe à son préfet favori, le baron Haussmann, qui fit pendant treize ans sa résidence d’été du château dont il confia la construction à Davioud (l’un de ses principaux collaborateurs). Ce bâtiment, constitué d’un pavillon de deux étages sommé d’un attique et flanqué de deux ailes basses en terrasse, n’avait pas de rapport avec le château que nous voyons à présent. Gravement délabré (car, selon l’expertise de Formigé datée de 1899, c’était vraiment pas construit pour durer) mais tout de même restauré vers 1910, il passa dans les mains du parfumeur François Sportuno, bien plus connu sous le nom de Coty, qui entre les deux guerres l’abattit pour commencer la construction de la grosse villa que nous connaissons. Finalement achevé au début des années 50 pour héberger le Centre international de l’enfance qui y aménagea salles de réunions, bureaux et locaux d’archives, il l’abrita jusqu’aux années 90 avant un nouvel abandon. A présent le nouveau propriétaire, le WWF, occupe les lieux et, qu'il en soit remercié, songe à une restauration sérieuse.


Quant à la tour, en 1857, comme son état empirait, au lieu de l’abattre mais sans aller jusqu’à la restaurer à l’identique, avec son toit pointu, on la transforma, en même temps qu’on aménageait le parc pour Haussmann, en tour de défense médiévale. La mode gothique était dans l’air, le Dictionnaire raisonné de l’architecture française de Viollet-le-Duc était entamé depuis 1854, et tout compte fait la tour, sans doute affermie par son socle primitif, a bien mieux résisté que le reste. Utilisée comme belvédère pendant un demi-siècle, elle fut reliée en mars 1899 au réseau électrique, ce qui y permit l’installation d’un magnifique ascenseur Roux-Combaluzier, Vernes, Guinet, Sigros & Cie. Apparemment l'ensemble du domaine est aujourd'hui sauvé, surtout cette étonnante tour qui recèle ce qui est sans doute le premier ascenseur privé de France, et probablement l'un des plus beaux !

La tour de Longchamp.






En haut de la tour, plusieurs inscriptions, dont ce carré magique dont la somme de trois chiffres lus sur une même droite donne 15. Quant au graffiti daté de 1870, aurait-il un rapport avec l’Année terrible ? Ce Louis Verdier était peut-être un des guetteurs chargés de déceler les mouvements des Prussiens autour de la capitale. Offrant malgré la végétation un bon point de vue et néanmoins assez proche des fortifs pour que l’observateur s’y réfugiât rapidement, l’ancien pigeonnier aurait pu servir de tour de guet.


Carré magique de la tour de Longchamp.

Voir absolument les très intéressantes pages de M. Demory sur l'abbaye de Longchamp et l'histoire du XVIe arrondissement en général.

Sources : M. Demory et archives départementales de la Seine.

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