Dans les années vingt, la mécanisation de l’agriculture et l’accroissement de son rendement, déjà largement amorcés avant 1900 mais rendus vitaux au lendemain d’une guerre ravageuse, exigèrent de très forts apports d’engrais. Les adjuvants traditionnels d’origine animale étant insuffisants, on se mit à produire des engrais chimiques, notamment à base de potassium (voir à ce sujet l’usine des potasses) mais aussi d’azote sous forme de sulfate et de nitrate d’ammonium. On pouvait y ajouter, broyé, du laitier de haut-fourneau, constitué essentiellement de calcium avec un peu de phosphore et de silicium.

Pour synthétiser l’ammoniac NH3, il faut de l’azote et de l’hydrogène. Si l’azote peut être extrait de l’air qui entoure l’usine, l’hydrogène, quant à lui, doit venir d’une autre source. Par exemple, il constitue une bonne moitié des gaz de cokerie. Si la production gazière n’est pas l’objet principal de la distillation du charbon, comme c’est le cas dans la fabrication de coke sidérurgique, ce n’est pas une mauvaise idée de construire une usine d’engrais permettant de valoriser le gaz autrement que par l’extraction des sous-produits habituels. La même démarche a été constamment observée dans la première moitié du dernier siècle, aboutissant par exemple à la plate-forme chimique de Carling (décrite par de magnifiques photos accompagnées d'un texte solide sur le site lié) ou à l’usine de la Société carbochimique (encore existante) alimentée par les produits de la cokerie de Tertre (démantelée récemment).

En 1929 débuta la construction, qui dura deux ans, de la Société anonyme pour la fabrication d'engrais azotés (SAFEA) dépendant des Usines Gustave Boël, à La Louvière. Les tuyaux conduisaient le gaz depuis les fours, l’air quelque peu embrumé fournissait généreusement son azote, les péniches naviguant sur le canal emportaient les sacs d’engrais, bref, les choses se présentaient bien.

Après une période de veille puis une courte production de sulfate d’ammonium, interrompue par l’arrêt de la fourniture d’acide sulfurique par les Allemands (nous sommes en 1940), ce sont les années de guerre : bien que réquisitionnée par l’occupant pour l’abreuver en azote liquide, l’usine est libérée par les Alliés sans en avoir fourni un seul litre. Une fois les dommages réparés, la période réellement active commence : à partir de l’ammoniac synthétisé, elle produit du sulfate (pendant à peine une décennie) puis, grâce à l’acide nitrique synthétisé dans l’usine, du nitrate d’ammonium, et enfin, à partir de 1963, de l’oxygène destiné aux convertisseurs des aciéries voisines, avant de fermer officiellement en juin 1978, une petite équipe de démantèlement étant maintenue encore quelques années.

Malgré la disparition de plusieurs gazomètres, le site, sur près de 33 hectares, reste particulièrement impressionnant. Pourvu d’un château d’eau et d’une haute cheminée, tous deux de type Monnoyer, ce ne sont pourtant pas eux qui le caractérisent, mais bien les hautes tours de ciment ressemblant à des corbeilles destinées au stockage et à la dilution, qui le signalent de très loin, de même que, avant d’être lamentablement ferraillés, les hauts-fourneaux voisins de Gustave Boël dominaient la plaine.

 

 

Les gazomètres, qui emmagasinaient les réserves de gaz, sont conservés dans leur état des années soixante. Autres emblèmes, les réfrigérants et la tour de dilution, qui mérite d’être sauvée d’une destruction que tout fait craindre. (De toute l’Internationale, c’est le vers le plus stupide que les dirigeants libéraux européens ont retenu : " Du passé faisons table rase ! " Comme s’il n’y avait pas assez de place à côté pour se sentir obligé, par quelque vaine rage, de détruire tout ce qui ne sert plus. Certains appellent cela le progrès, d’autres la décérébration volontaire d'une population dans l'intention malveillante de la lobotomiser. Pour paraphraser Galgacus, Ubi solitudinem faciunt, futura appellant...)
Mi-juin 2006 : grande victoire du terrorisme pédiaclaste ! des dynamiteurs ignorants de ce qu'étaient l'ingénieur Monnoyer et l'industrie belge, commandés par des décideurs tout aussi incultes, viennent de pétarder cette exceptionnelle tour de dilution.

 

 

 

Suite.