Des deux carrières historiques de
Chanteloup-les-Vignes, seule demeure encore debout la carrière Bassier. En effet, la carrière des Malvaux, ouverte en 1822 par
M. Barrois à l'ouest de la route de Chanteloup est à présent totalement impraticable. C'est tout près de celle-ci
que Pierre Martin aurait ouvert la première carrière de la commune vers 1800, abandonnée dix ans plus tard et redécouverte
fortuitement par des ouvriers en 1825. Quant à la carrière orientale, dite du Chapitre, qui d'ailleurs
communiquait jadis avec celle des Malvaux, elle remonte pratiquement à la même époque, mais est encore partiellement
visitable pour les espaces proximaux.
A près de deux siècles de distance, la rivalité entre les deux exploitants François et Blouin, avant qu'ils réunissent
leurs exploitations pour les remettre à Sivère Lebas, lui-même prédécesseur de François Petit, laissa tout de même en 1819
des pages immortelles sous la plume de Louis-Etienne Héricart de Thury, que je ne peux résister à livrer au plaisir
des connaisseurs : Mais c'est peu pour eux d'empiéter sur une propriété voisine, car le domaine public n'est
point à l'abri de leurs atteintes. Au sud, le sieur François François a traversé la route pavée de Passy à Pontoise
en trois endroits différents; au nord, le sieur Blouin a percé sous cette route une rue dirigée de l'est à l'ouest,
et comme s'il eût craint de causer un moindre dommage que son confrère il s'est hâté d'y pratiquer un atelier
dirigé à peu près comme elle et en retour vers le sud-ouest. Dans cette lutte de dévastation on peut dire que
les deux rivaux se sont piqués d'émulation et qu'il est difficile de dire lequel des deux est le plus coupable.
Ils ne l'envoyaient pas dire, les ingénieurs des mines, à cette époque...
Forcée de s'étendre vers le nord où se trouvait la plus forte puissance de gypse alors que, vers Andrésy, les
confins sud-est de la butte-témoin de l'Hautil (similaires en cela aux confins opposés, vers Evecquemont) ne livraient
plus que des couches de moins bonne qualité, la carrière du Chapitre, qui dès 1851 avait le droit d'extraction de
dix hectares, prit une extension assez considérable au fil du temps. Parallèlement, les vides des anciens travaux
furent loués à des champignonnistes dont demeurent encore quelques traces.
Après la période de concentration suivant la Première Guerre mondiale, qui vit le rachat des carrières de Chanteloup
par la société Bourdet qui exploitait aussi Pissefontaine à Triel et qui relia souterrainement les ensembles de vides,
l'exploitation cessa peu avant 1940. En revanche la culture des champignons persista encore quelques décennies, et
des riverains s'en souviennent encore.
Entre-temps, l'épisode de la Libération vit les souterrains servir, comme leurs homologues de Triel, d'abri aux
populations, ce dont témoignent encore quelques inscriptions, moins riches qu'à la Bérangère, certes, mais peut-être
à cause d'une occupation moins dense.
Il faut aussi parler d'un événement particulièrement affreux.
C'est en effet dans les zones effondrées et inaccessibles de la carrière du Chapitre, qui à cet endroit
s'est bien éloignée de son lieudit éponyme, que se développa le gigantesque fontis du 13 mars 1991 dont la venue au jour
engloutit des caravanes et surtout un jeune homme, Stéphane Lecorguillier, qui se précipita trop courageusement
à 23 heures, en ce soir tragique, au secours des forains voisins dont les biens - les seuls biens, en tant que
forains - étaient en voie de perdition.
En effet, le sol presque tout entier de la butte est une pépinière de fontis, énormes entonnoirs, souvent remplis d'eau.
En dessous, on contourne les cônes d'éboulis correspondants, qui laissent voir aussi bien des troncs d'arbre engloutis
il y a cinquante ou cent ou deux cents ans que des pièces de voiture qu'on peut dater plus facilement. Le
recouvrement s'étageant entre 20 et 70 mètres (la butte-témoin qu'est l'Hautil culmine à 185 mètres), l'éventail
des délais de montée de la cloche suit la même variation. Au-dessus, on se faufile entre des abîmes qui
n'inspirent qu'une seule crainte : et si un autre fontis s'ouvrait maintenant sous mes pas ?
Le sol de la forêt continue mois après mois à s'effondrer. Aucun signe avant-coureur ne prévient de
la venue au jour du fontis. Et quand il crève, il est déjà trop tard : en effet, au-dessus des marnes surmontant
le gypse repose une forte puissance de sables stampiens, recouverts près du sol par une dalle marnocalcaire peu
épaisse. La cloche de fontis peut se développer à son aise sous cette dalle, vidant les sables entraînés par
les venues d'eau et leur imposant une forme d'entonnoir souterrain. Quand le diamètre de cet entonnoir encore
invisible excède la résistance de la dalle, soudain elle se rompt d'un seul coup sur une surface énorme. Déjà,
en 1904, Mme Huché, alors qu'elle s'occupe de ses asperges dans son jardin de Triel, se retrouve engloutie
jusqu'aux épaules, à deux mètres de profondeur, dans une telle excavation et ne doit d'en être
arrachée in extremis qu'à la présence d'esprit de son mari et de deux jeunes gens.
De tels fontis ont, au cours des siècles, avalé des victimes : 1778, 7 personnes rue Boyer, récupérées à 25 mètres
de profondeur. 1899, trois chiffonniers à Pantin, découverts deux semaines après. 1909, Marie Lechevallier, rue Tourlaque,
retrouvée deux semaines après à dix mètres. 1953, Denise et Françoise Bourgeon, exhumées deux semaines après
à moins quinze mètres. 1959, Etienne Lambert, à Romainville, extrait de la cabine de son camion un mois après
à 20 mètres. 1961, les 21 victimes d'Issy-les-Moulineaux et Clamart sont toutes retrouvées une semaine après.
Pourtant aujourd'hui le fontis de la ruelle Corneille est encore une tombe : quelles que soient les raisons
pour lesquelles les recherches n'ont pas été poursuivies, y compris à la pelle et à la pioche comme dans les cas
précédemment cités, nombreux sont ceux qui pensent, dans tous les milieux concernés, parents des victimes,
riverains et sauveteurs, que leur abandon n'aurait pas été si rapide si le poids social de la victime avait
été plus considérable.
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