La cimenterie Pesenti |
Les Italiens ont un passé trimillénaire dont ils sont fiers. Grâce à cette culture, leur intérêt se porte aussi bien sur les monuments étrusques que sur les bâtiments industriels d'une époque plus récente. Ainsi, ils respectent et préservent l'ancienne cimenterie d'Alzano Lombardo. Voit-on fréquemment cela en France ? Allons, allons, une "friche" (synonymes francophones : "un cancer", "un chancre") préservée dans notre pays, c'est un pieu planté dans le coeur de nos gouvernants... Il est plus facile de commencer par une destruction complète et de continuer par une chose cubique et banale. Cela implique moins de neurones. La cimenterie se compose de deux ensembles de bâtiments : la partie fabrication, avec l'alimentation, les fours, les silos, et la partie administrative et de conditionnement. Ce dernier édifice, qu'on distingue à gauche de la vue ci-dessous, est en phase de rénovation avancée. J'en suis ravi. Néanmoins, comme ce site est plus spécialement consacré aux reliques industrielles, seul le bâtiment des fours fera l'objet des présentes pages car lui seul présente encore la poésie chère à Hubert Robert ou au Piranèse.
L'ingénieur Cesare Pesenti fut à la fin du XIXe siècle un important théoricien du ciment armé, en même temps
qu'un propagateur et un constructeur. Aussi la nouvelle cimenterie qu'il construisit en 1883 à Alzano Lombardo bénéficia-t-elle
de l'innovation fondamentale que constituait l'introduction d'une armature métallique dans le volume de ciment, formant
le ciment armé ou semi-armé (selon l'importance des ferraillages). En revanche, les procédés de fabrication du ciment, essentiellement du Portland sous ses diverses variantes (blanc, à prise retardée, etc.), n'évoluèrent guère jusqu'à la fin de l'entreprise, vers 1960, après un apogée dans les années trente, où elle occupa quelque 400 ouvriers : entre autres, pas de four rotatif, le marnocalcaire étant cuit dans des fours verticaux surmontés des cheminées visibles de loin. En plus du fait qu'il s'agit d'une des premières applications du ciment armé à la construction, l'originalité de l'usine telle qu'elle apparaît au visiteur consiste dans son aspect extérieur, très massif, quasi monolithique, et dans l'agencement des ateliers, peu lisible pour un spectateur habitué aux cimenteries modernes, mais surtout dans l'étonnante élégance des niveaux, principalement celui de la grande salle sommitale recevant les wagonnets remplis des divers matériaux avant de les distribuer dans les silos, mais sans oublier la voie souterraine desservant les fours, renforcée par des arcs doubleaux en plein cintre et percée d'ouvertures latérales en arc brisé. |
On remarque, comme dans la majorité des fours
verticaux, le fruit de la façade résistant à la poussée de la charge.
Les deux types de cheminées correspondent à des fours traitant au moins deux types de produits. |
Tout l'étage supérieur est consacré à la distribution
des produits par des wagonnets circulant sur des voies étroites jointes par des plaques
tournantes hélas disparues (il aurait été intéressant d'y relever une marque éventuelle). La particularité de cet étage est l'admirable recherche des lignes de force, toute la toiture en voûtes surbaissées, laissant passer la lumière zénithale par des oculus à la clé, étant soutenue par des nervures orthogonales assises sur d'innombrables colonnes au fût et à la corbeille octogonaux surmontés d'un tailloir carré. La seule décoration consentie aux chapiteaux consiste en huit cuvettes venant de moulage. Les wagonnets renversaient leur contenu, chaux et argile, dans des silos inférieurs dont on voit les trappes oblongues de part et d'autre des rails. |
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