Le fort de Tavannes - Le tunnel ferroviaire (suite)


Après guerre reprirent les études sur le doublement de la voie : toutes les industries alsaciennes et surtout mosellanes redevenues françaises, l'intensification du trafic de nouveau libre imposait une circulation sans restriction. La voie étant doublée, le souterrain devait l'être aussi. Le percement se passa sans problème particulier, semble-t-il, alors que l'élargissement de la plate-forme nécessita les plus grandes précautions eu égard à la masse de munitions intactes encore recelées dans les talus, autant des projectiles tirés mais non explosés que des stocks d'obus emmagasinés dans les niches à munitions oubliées ou enfouies. La majorité des terrassements en site sensible se fit à la main. Vu la relativement faible épaisseur du piédroit central (5 mètres), on trouva pertinent de relier les refuges symétriques de chaque tube par une galerie transversale, ce qui permettait non seulement un abri sûr lors des circulations de trains mais aussi onze communications entre les deux galeries.
Le débouché du double souterrain côté Verdun. On voit parfaitement la différence de section entre le tube ancien à droite et le tube récent à gauche, en forme d'ovoïde. L'espacement des voies était mis à profit à chaque extrémité pour installer une voie de garage où stationnaient les locomotives de renfort en pousse des rames lourdes pour les aider à franchir la montée de 5 ‰ dans le sens Verdun–Etain.

Des deux cartouches apposés sur le parement, si celui de 1936 (date d'achèvement) relatif au tube de la voie I a quelque apparence de vérité, celui indiquant 1874 relève de la plus haute fantaisie, puisque l'ouvrage était terminé depuis mai 1872 et que les trains y passaient depuis mi-1873. D'ailleurs, une plaque photographique remontant à la Première Guerre et détenue dans une collection privée montre, vaguement sans doute mais montre quand même, un cartouche 1869 (date de début) au fronton du tunnel. 1874 n'est donc ni une date d'achèvement, ni une date de début. Quant au 1871 agrémentant très discrètement la clé du parement côté Verdun, elle peut correspondre à la reprise des travaux. Nos choix se perdent dans toutes ces dates.
Des dispositifs de minage, naturellement, furent intégrés dans le nouveau tunnel, aux mêmes endroits que dans l'ancien soit au centre et à la tête ouest. Mais les fourneaux de ciel, cette fois, sont accessibles par un escalier.

Lors de l'avance des troupes allemandes en juin 1940, on fit jouer les fourneaux de mine qui, dans le souterrain original, attendaient depuis le début du siècle. Si à la suite d'une mise à feu défectueuse le tunnel récent fut épargné, encore qu'atteint par la destruction du tube historique, ce dernier fut colmaté sur plus de 100 mètres, cumulant les destructions de l'entrée ouest et celles du milieu (fourneaux latéraux et en ciel). Les dégâts furent tels que l'entreprise Haïk Kirikdjian, de Verdun, une société qui tint une importante place sur le marché entre 1926 et 1976, occupa à leur réparation plus de 80 personnes pendant dix mois, particulièrement du 2 septembre 1940 au 22 mars 1942, y aménageant de nouveaux fourneaux à peu près à l'emplacement des anciens, avec toutefois un décalage de 54 mètres entre leur centre et celui du dispositif de 1895.
Le Nachschublager 1404
Les Allemands, grands amateurs de sites souterrains permettant de stocker V1 et V2, élirent le tunnel comme Nachschublager de fusées V2 sous le numéro de code 1404. On aurait pu en garer une soixantaine, si les travaux avaient été achevés. C'est naturellement l'Organisation Todt qui s'en chargea, avec l'aide plus ou moins volontaire des requis désignés par les mairies et dont plusieurs traces apparaissent dans les archives du département.
L'OT choisit d'aménager le tube historique. La protection consista en deux portes roulantes transversales en béton renforcé de cornières, montées sur 8 essieux. Dans le dispositif occidental encore subsistant, une demi-porte roulante est logée dans une vaste niche (ci-contre) séparée du tube 1936 par une porte fermière 434 P 01. Une autre porte fermière (ci-dessous) est logée dans la traverse de la tête orientale, mais aucune fermeture roulante n'est visible de ce côté. Quant aux neuf autres traverses intertubes, leur obturation définitive semble avoir été prévue mais non réalisée. Dernière précaution, les Allemands comblèrent, bouchèrent ou pétardèrent ce qui restait de la cheminée.
Ci-après, une vue hypothétique des aménagements de la section du tunnel : chevauchement imaginaire des planchers de cantonnement en 1916 et de l'installation de la voie de 60 destinée vingt-huit ans plus tard aux lorries de transport et de stockage des V2. Une fusée mesurant 14 mètres, 60 d'entre elles n'occupaient pas tout à fait 900 mètres. Or, l'espace de garage ne pouvant commencer qu'à 100 mètres de l'entrée Verdun à cause de la porte blindée protégeant la longue voûte rectiligne, les 900 mètres s'arrêtaient avant le début de la courbe qui précède la sortie vers Etain, constituant ainsi tels quels une sorte de « site en ski » familier aux connaisseurs des stockages de V1. Le site étant réputé achevé, mi-1944, à 95 %, les travaux restants ne devaient pas être bien importants.

Un seul tube étant utilisé, les transbordements n'auraient pu être prévus qu'à l'extérieur des galeries entre les wagons sur la voie normale et les lorries sur la voie de 60 parcourant le tunnel de stockage.
Ci-dessous, une vue extrêmement intéressante de la sortie côté Verdun au moment de l'aménagement comme site de stockage par l'Organisation Todt. Le tunnel sud est parcouru par une double voie de 60 (dont de nombreux coupons sont en attente de pose sur la gauche) où circulent des wagonnets tirés par un locotracteur Jung tandis que la voie normale est interrompue. Les deux ouvriers accroupis sur la droite sont peut-être des requis.
La guerre finie, après l'exécution de divers travaux d'entretien, l'alerte causée en 1972 par l'accident du tunnel de Vierzy (1) et qui aboutit à la vérification de tous les souterrains ferroviaires du nord-est entraîna dans un premier temps, en 1973, la décision de déferrer l'ancien tube. Elle fut suivie, en 1974 et 1975, par la consolidation de portions de voûte au moyen d'arceaux en béton armé, bien visibles sur les photos, essentiellement pour éviter que des instabilités de l'ancien tube se répercutent sur le nouveau. Le rétrécissement de section, particulièrement dans la courbe malgré son rayon de 500 mètres, rend assez illusoire une nouvelle remise en circulation.

(1) Le 16 juin 1972, quelques mètres cubes de la voûte du tunnel de Vierzy, dans l'Aisne, qui avait été pétardé en 1940, s'effondrèrent sur la voie, faisant dérailler un autorail au moment où en arrivait un autre en sens inverse. Il y eut 108 morts et 111 blessés, certains très gravement. Le résultat fut une inspection soigneuse de tous les souterrains ferroviaires de la région suivie par leur renforcement ou par leur chemisage, entraînant la mise en voie unique, comme à Vierzy ou à Vauxaillon (sous le camp de Margival), ce qui n'avait aucune importance, le trafic de ces petites lignes étant déjà devenu très faible.


Sources et remerciements :
Cyril Cary - Jean-Luc Kaluzko - Robert Cary
Archives militaires au SHD
Archives départementales de la Meuse
Luc Malchair et fortiff.be
Yannick Delefosse
Francis Villemaux
André Jacquot
Pascal Casanova
Claude Hélas
Monsieur Ara
Archives SNCF
Fr. Radet
Infoterre



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