La paire de Cheratte


L'entité de Visé a célébré en 2007 le trentenaire de la fermeture du charbonnage du Hasard, établissement de Cheratte. C'est en fait un double anniversaire, car c'est en 1907 que fut construit le romantique palais industriel qui fait rêver tant de curieux et de photographes.
Dans le Borinage et le bassin carolo, plusieurs chevalements ont été protégés. A Liège, où depuis des siècles le sol était perforé de centaines de puits, seules deux mines témoignent encore aujourd'hui du riche et pluriséculaire passé charbonnier de ce bassin. Blégny Trembleur est devenu un intéressant musée minier, autour duquel s'organisent diverses activités. Quant au charbonnage du Hasard, drapé dans ses façades d'outre-temps, il propose silencieusement au visiteur saisi l'énigme d'un passé qui, lui, demeure insaisissable. La visite à laquelle je vous convie, qui tentera de vous initier aux mystères de ce carreau, voudra aussi rappeler encore le souvenir et la présence de tous ceux qui y ont trouvé une nouvelle vie et souvent un pays d'adoption.
Sans être le plus ancien du pays de Liège, il manifeste déjà un âge certain, car un puits descendait déjà à 230 mètres vers 1850. Des venues d'eau ayant conduit à l'abandon du site en 1877, il demeura désaffecté pendant trente ans, puis fut revitalisé par son nouvel acquéreur, la compagnie de Micheroux, qui à partir de 1907 en fit une des plus importantes concessions de la région, avec quelque 3600 hectares lors de la fermeture.
La paire de Cheratte après 1960.
Malgré la très faible qualité de la photo ci-dessus, prise comme en témoigne la végétation parasite après la fin de l'exploitation mais peu de temps avant la destruction de la tour du puits 2 ainsi que du lavoir (à l'extrême gauche) et de son convoyeur couvert qui prolongeait le moignon de passerelle actuel, on se rend compte de l'intérêt archéologique qu'eût présenté un ensemble aussi compact mais qui, hélas, ne fut classé qu'en partie.

Ci-dessus et ci-dessous, les vues impérissables de la paire telle qu'on la connaît actuellement. Précisons qu'il s'agit d'un mot essentiellement liégeois pour désigner un espace réservé au stockage, généralement de bois de mine, puis par extension le carreau lui-même. Les bâtiments primitifs, de 1907, sont à droite, articulés autour du puits 1 dans leur merveilleux et hiératique style néomédiéval de béton armé et de brique. A gauche, l'ensemble des années 50 devenu ultérieurement le coeur actif du charbonnage, le puits 1, obsolescent, n'étant plus utilisé qu'en secours. Dans les années 20, la lampisterie actuelle et les ateliers virent le jour, pendant que dans les anciens bâtiments les étages des douches continuaient de remplir leur rôle.
La trémie au premier plan de la photo ci-dessous, située exactement dans l'axe de la passerelle, recevait le culbuteur qui alimentait le lavoir construit en 1920 par la société Beer de Jemeppe.
Regardant discrètement par-dessus les arbres comme un chat à l'affût, le puits 4 domine paisiblement l'ensemble.

Vestige du lavoir des années 20.
Aile sud du charbonnage.
Chevalement du puits 4.
Le chevalement du puits 4, dominant la paire, est peut-être, plus encore que le beffroi néomédiéval du puits 1, l'emblème du siège de Cheratte. Construit en béton et en 1927, doté d'un treuil de faible puissance, il n'a été destiné dès son érection qu'au transit des déblais et à leur mise en terril. Il est regrettable que l'accès au sommet ne puisse se faire que de façon scabreuse.
Le puits 3, foré à partir de 1927 jusqu'à 1947, est le plus récent. A priori, son chevalement de béton de la sociéte Poismans est destiné à la démolition. C'est une sottise à plus d'un titre. En effet, non seulement il fut le dernier actif, mais de plus, prévu pour recevoir une machine d'extraction en tête, il a subi dès son achèvement une modification intéressante par l'ajout de poussards dyssimétriquement disposés, transformant ainsi une tour d'extraction en chevalement classique. Depuis la destruction malheureuse de la tour du puits 2, accolée aux douches nord, il s'agit du seul chevalement moderne de la paire.
Le charbonnage a été dès l'achèvement des ouvrages de la nouvelle position fortifiée de Liège destiné à être l'observatoire OP 206. OP comme Observatoire de Pontisse. En effet, comme le montrent les vues suivantes (prises depuis le chevalement du puits 3, inexistant en 1939, mais l'altitude du puits 1 est identique, sans compter la présence du puits 4), il offre une vue imbattable sur la vallée de la Meuse depuis Visé jusqu'à Liège.



Le fort de Pontisse, sur la vue ci-dessous, est localisé sur la butte à l'horizon, très légèrement à droite du centre de l'image. Sa distance à vol d'oiseau est d'un tout petit peu plus de 2,5 kilomètres.
A l'avant-plan, en revanche, les cités de 1923 dans un état proche de l'origine.



Au sud de la paire, le château Saroléa, dû à Gilles, seigneur de ce nom, remonterait au milieu du XVIIe siècle. Il passa dans la propriété des charbonnages de Micheroux quand ils achetèrent l'ensemble des installations en 1905. Dès lors, le vaste bâtiment subit diverses affectations utilitaires, comme bureau directorial, locaux sanitaires et médicaux... jusqu'à la fermeture, tout en étant tout de même classé en 1953. En mauvais état, mais au moins hors d'eau, ce remarquable exemple du style mosan attend une sauvegarde digne de ce nom.