La carrière du Couvent (suite)


Sèche et bien ventilée, la carrière du Couvent est assez pauvre en concrétions : quelques modestes fistuleuses, une zone avec des gours, un peu de mini-draperies...
En revanche, elle recèle (à l'instar d'autres cavités souterraines de France et du monde entier) des carbidimites, qu'on appelle aussi trompettes de Chavenay. Même si au Couvent la plupart sont mortes par dessiccation, il reste tout de même de beaux exemples. Quelques rappels : elles ont été découvertes en France en 1966 par Théo Matteudi. Un article est publié en 1971 par Paul L. Broughton. La première description a été faite en 1971 puis surtout en 1973 par Jean-Yves Bertrand. Ces travaux ont été repris en 1978 pour le prix Philips par Valérie Lauvergeon, Corinne Bœuf et Didier Lourdin.
En phase de croissance, elles sont généralement construites de tubes coniques en forme de verre à pied, remplis d'une eau au pH neutre, mais apparaissent aussi sous forme d'hélictites. L'hypothèse de formation proposée par Cave Minerals of the world est que des bulles d'acétylène continuent de se dégager du déchaulage en entraînant de l'eau dont la calcite se dépose autour desdites bulles dans des cercles de plus en plus larges. Je ne crois nullement à cette théorie dans la mesure où certaines carrières continuent de faire pousser des trompettes sur des substrats déjà suffisamment anciens pour que les dernières molécules d'acétylène se soient évaporées il y a belle lurette. En revanche, Louis Médard a rappelé dans les Explosifs occasionnels, au chapitre de l'acétylène, quelles impuretés du carbure de calcium se retrouvent dans le déchaulage, telles que du carbure de silicium, des siliciures de calcium qui ne s'hydrolysent que lentement, particulièrement dans l'eau de chaux si l'humidité ambiante imprègne encore le déchaulage, et du cyanure de calcium sous la forme de sulfocyanure. C'est peut-être là que se trouve la clé de la formation des trompettes.
On ne s'éclaire plus beaucoup à l'acétylène, et quand on le fait on s'acharne, mû par je ne sais quels déplorables principes, à remporter ses déchaulages, ce qui est extrêmement regrettable car on se prive des conditions de l'étude de ces ravissantes concrétions très peu étudiées, qui laissent encore ignorer leur vitesse de croissance, leur composition, les catalyseurs éventuels. Il serait donc intéressant d'analyser le rôle de ces éléments dans le développement de ces minuscules mais charmants spéléothèmes. Je ne peux qu'encourager les esprits curieux et débarrassés de considérations prétendument écologiques hors de propos à déchauler à nouveau dans des endroits précis, qu'ils visiteraient régulièrement, afin d'observer ce qui se passe et, suprême récompense, de créer peut-être un nouveau parc de carbidimites.
L'étage supérieur.
Sans que ce soit certain, il est possible que l'exploitation souterraine du niveau supérieur ait été antérieure, même de peu, à celle du banc de Saint-Leu. Les profils des ateliers sont très archaïques, dans cette pierre, dite vergelé, riche en coquilles et plus dure que la masse du niveau inférieur. Son aspect éveillé (troué) et sa plus grande difficulté de taille la cantonnaient dans des emplois où la solidité était essentielle, mais où elle n'était pas trop visible. Curieusement, les architectes envoyés par Colbert en 1678 pour recenser les carrières de pierre de la région parisienne en parlent, mais ne s'étendent pas, sauf pour dire que la carrière était déjà abandonnée. La carrière Notre-Dame, d'abord souterraine puis dépilée pour la plus grande partie au début du XXe siècle, étend cependant encore quelques galeries d'étage supérieur au-dessus du banc de Saint-Leu.

C'est précisément ces vestiges de Notre-Dame que le puits ci-après, de plan quadrangulaire (seul exemple dans la carrière) fait communiquer avec le niveau inférieur en saint-Leu. Manifestement pas destiné à l'aérage comme tous les autres, qui sont d'ailleurs cylindriques, car il ne traverse pas l'étage supérieur pour déboucher sur le plateau, ce puits a longtemps été un mystère, sa forme particulière lui laissant supposer une certaine ancienneté. Mais, à l'examen, ses parois présentent de nombreuses traces de travail à l'aiguille, outil qui n'apparaît pas avant le XVIIe siècle. Il est de plus en plus probable que, loin d'être un ancien puits de carrier, il soit beaucoup plus récent et ait été creusé par les champignonnistes, donc après 1870, pour faciliter la manutention des récoltes à qui on évitait de faire le détour par la bouche Saint-Christophe : remontant par cette cheminée, elles sortaient par le cavage de Notre-Dame, très proche de la route redescendant ensuite sur le bourg de Saint-Leu.
Ces vides supérieurs, qui selon des plans hélas très imprécis pouvaient s'étendre sur environ 7 hectares, sont désormais inaccessibles suite aux travaux allemands de renforcement dans le cadre de leur utilisation militaire, à l'exception toutefois, outre la portion de l'ancienne carrière Notre-Dame mentionnée ci-dessus, d'une petite zone pénétrable via un effondrement (photo suivante) et d'une salle plus vaste traversée par un puits blindé joignant le plateau à l'étage inférieur. Blindé, cela signifie que les orifices de certains des puits existants ont été modifiés près de la surface en forme de baïonnette, avec un double coude, pour retenir les objets explosifs qu'un assaillant y aurait jetés.
Quelques dizaines de mètres carrés de l'étage des vergelés (ci-dessus) ont été aménagés de façon habitable par l'occupant allemand, mais la quasi-totalité du niveau a été condamné par d'épaisses consolidations le morcelant définitivement. Délaissé par les carriers depuis longtemps, il n'a reçu que des graffitis de champignonnistes tracés au XIXe siècle et avant 1940.

Les trois vues suivantes montrent une de ces salles isolées, accessible uniquement par un puits ascendant, contrefortée par les muraillements allemands. Ce principe créait un vide d'amortissement, exactement comme dans les constructions des bases de sous-marins du mur de l'Atlantique et les dispositifs inspirés des leçons des tirs des Röchlinggranate décrits dans la page finale relative au fort d'Aubin-Neufchâteau.
Le tuyau de gros diamètre (ci-contre) visible aussi à l'arrière-plan de la photo ci-dessus à droite du halo de la lampe vient de la surface et dessert le niveau inférieur. Le puits qu'il parcourt est précisément un de ces puits protégés à profil en baïonnette, ainsi aménagés par les Allemands mais préexistants. Cette salle offre un bel exemple des travaux de confortation effectués pendant la Seconde Guerre mondiale, apparemment pas inutiles puisque, malgré la phénoménale quantité de bombes déversée sur le site, les galeries ont tenu, aussi bien au niveau inférieur, ce qui est normal compte tenu du recouvrement, mais aussi au niveau supérieur, même avec la condition aggravante d'être plus proches du versant et d'en subir les conséquences géomécaniques. En même temps, les photos rendent comptent du caractère ancien et irrégulier des techniques d'arrachage de pierre, tirant pour beaucoup parti de la fissuration existante.
Exemples de graffitis en étage supérieur. La présence du badigeon de chaux implique l'occupation par des champignonnistes.
Le graffiti d'Henri Beldame tracé en 1909 est accompagné, sous un badigeonnage de chaux qui le rend à peine déchiffrable, de l'inscription obituaire surmontée d'une croix de son collègue champignonniste Lucien Godard, « mort soldat » à vingt ans en 1915 à Damloup, à côté du fort de Vaux. Henri Beldame, né en 1892, était recensé comme champignonniste en 1911, et a laissé son nom en d'autres endroits de la carrière. Quant à l'équidé représenté ci-dessous à côté d'un trèfle à quatre feuilles, est-ce un âne avec ses grandes oreilles ou une licorne ?



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