Les Grands Moulins de Paris
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Bon, c'est une certitude et un soulagement, les
Grands Moulins de Paris sont conservés. Ils ne sont pas exaltés, pas mis en valeur, pas préservés. Non. Ils sont
conservés. Mis en conserve. Aseptisés, pasteurisés. A la place des planchers, du ragréage de béton. A la
place des plafonds, des dalles. A la place des machines de bois roux, rien. Rien d'autre que des normes.
Que la volonté de garder ce bâtiment soit louée, bien sûr ! Quant au curetage interne, chacun
appréciera, selon sa sensibilité. Il paraîtrait que certaines machines devraient être réinstallées.
Il paraissait aussi que la centrale électrique de l'île Séguin devait être protégée...
Il paraissait aussi que la tour à plombs de Métaleurop devait être préservée...
Paroles, paroles, paroles... |
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Initiée pendant la Première Guerre mondiale
par un important consortium,
les Grands Moulins réunis, la construction fut confiée à Georges Wybo, qui eut
aussi à son actif une extension des très beaux entrepôts du Printemps, à Clichy, et le George V, à Paris.
Conçu pour afficher l'opulence des meuniers fondateurs, le bâtiment exprime dans un syle néo-classique
leur magnificence. Sur le squelette de béton, ancré lui-même sur des pieux de même matière,
est apposé un parement de pierre calcaire rythmant de hautes
baies en plein cintre soulignées aux étages supérieurs par des moulures horizontales.
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Paradoxalement, la production de
la blanche farine et celle du noir charbon, dans leur stade ultime, relèvent de
la même méthode. Dans les deux cas, il s'agit d'appliquer itérativement un traitement identique à des produits de
granulométrie de plus en plus faible à chaque sortie de l'étape précédente.
Les premiers moulins à céréales, qui régnèrent de la haute antiquité jusqu'au XIXe siècle, livraient
une farine plus grise que blanche, où presque tous les éléments du grain, broyés et à peine tamisés,
demeuraient présents. On en faisait le pain des campagnes. La farine plus blanche, nécessitant un tamisage
plus fin donc plus long, était plus coûteuse. Dans les villes, et particulièrement Paris, en revanche,
le populo s'est mis dans la tête d'exiger lui aussi du pain blanc, symbole, sans plus, d'une certaine
égalité alimentaire avec les classes plus aisées.
Pour cela, il faut débarrasser la mouture de blé des débris d'enveloppes par divers procédés, que l'on
répète tant que la pureté commercialement désirée n'est pas atteinte.
C'est ainsi que s'expliquent, dans les moulins modernes (à partir de 1820, grosso modo, puis se complexifiant
dans le dernier quart du siècle), les multiples types de machines, différentes quant au nom et à la forme
mais au rôle sensiblement identique à part la granulométrie des produits traités, de plus en plus fins.
De plus, pour économiser l'énergie et en simplifier la transmission, la pesanteur est largement utilisée :
en tombant d'un étage à l'autre, les farines passent d'une machine à l'autre, qui leur fait subir l'étape
suivante de la purification, avant d'aboutir à la dernière phase, celle de l'ensachage après pesage ou,
plus récemment, du stockage pour la distribution par camion.
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Les évolutions des techniques de production
et des quantités nécessités par la croissance des populations
exigèrent de repenser les locaux. Sans remettre en cause le principe fondamental de la cascade de haut en bas, qui avait
eu pour conséquence la multiplication des étages, la
taille des bâtiments fut au moins décuplée. Alors qu'au XIXe siècle les premiers moulins industriels, à eau
en général, sont encore construits
en pierre, les géants du début du XXe recourent aux squelettes de béton, revêtus d'un parement de pierre,
ce qui permet de construire d'immenses halles refendues ensuite horizontalement et verticalement.
Tous les
éléments du moulin, toutes les machines, tous les silos, sont ainsi camouflés en un seul bâtiment imposant
et parfois extérieurement peu lisible, comme à Paris, alors qu'à Marquette une nouvelle volée de silos,
construits à côté des anciens bâtiments, indique sans ambiguïté la destination de l'ensemble.
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Suite. |
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