Le fort de Tavannes


Résultat de la brillante campagne française de 1870-1871, les forts Séré de Rivières mirent plus de trente ans à éclore le long de notre nouvelle frontière. Sur la place de Verdun, à l'est de la ville, Tavannes fut le premier, commencé en décembre 1874, terminé trois ans plus tard. A son achèvement, ce très bel ouvrage pentagonal, défendu par 760 hommes et armé, selon un plan de feu modifié, de 14 canons de 90 mm et de 2 mortiers lisses de 22 cm, était destiné à contrôler la voie ferrée de Châlons-sur-Marne à Conflans-Jarny, ainsi que la route d'Etain. Les trois casernements, parallèles aux fronts de tête et répartis en deux ensembles, l'un d'un seul bâtiment et l'autre de deux face à face, figuraient le fer d'une flèche dont la capitale aurait été la hampe. Il s'agissait d'un fort à cavalier, c'est-à-dire que les pièces se trouvaient au-dessus des casernements, séparées par des traverses-abris, escaliers et rampes en assurant l'approvisionnement.

Mais, la portée et le pouvoir vulnérant de l'artillerie n'ayant fait que croître au cours des décennies suivantes, en 1890 Tavannes fit partie des forts renforcés, les plus menacés puisqu'ils défendaient les frontières : envisageant une réduction de l'effectif, on bétonna la caserne de gauche (la caserne simple) sur 2,5 mètres d'épaisseur, les autres locaux devenant des séjours de temps de paix.

Quelques projets juste avant la guerre de renforcement de l'artillerie au moyen d'une tourelle de 75 et de deux tourelles de mitrailleuses n'ayant pas été concrétisés, le fort joua son rôle comme il pouvait, ses seules défenses consistant à partir de 1916 en mitrailleuses, dont trois affûts doubles sous casemates et blockhaus du système Pamart, déportés à une bonne centaine de mètres des saillants. Cela entraîna le creusement de galeries profondes devant desservir ces casemates éloignées, des abris de bombardement et une sortie sud, aujourd'hui obstruée.

Bien que dépourvu d'artillerie, le fort était trop près des lignes ennemies pour qu'il ne subît point un intense bombardement : 30 000 à 40 000 obus, dont plusieurs dizaines de 420 et 380, auraient été reçus entre février et octobre 1916... Il a été sans conteste l'un des plus bombardés de la place. En 1927, le cinéaste Poirier pétarda ce qui subsistait de l'escarpe de gorge pour pimenter un peu son film Verdun vision d'histoire.
Commençons par le cœur de la forteresse, le logement du commandant établi à l'étage (ci-dessus). Le talus qu'on gravit aujourd'hui est dû aux bombardements. A gauche, on aperçoit la carapace de la caserne bétonnée. On retrouvera tout au long des bâtiments de l'ouvrage l'appareil en opus incertum de moellons calcaires. En fin de compte, la construction extrêmement traditionnelle de pierre surmontée d'une forte épaisseur de terre a plutôt bien résisté au pilonnage intense, ne se soumettant qu'aux gros calibres.
Ci-dessus à gauche, il s'agit de l'arrière du logement du commandant. On reconnaît le curieux et inhabituel profil en arc surhaussé de la galerie centrale, vue ici à revers. En contrebas de l'éboulis, sous les poutres du premier plan, le bout de galerie visible est la capitale du fort qui se trouve au rez-de-chaussée et qui, venant de l'entrée, plonge vers la caponnière de tête et desservait aussi en des temps disparus les couloirs de fond des casernes. Tout au-dessus, à la verticale, un puits de lumière débouchant devant la traverse abri coiffant le logement du commandant et adjacente aux trois autres du cavalier d'artillerie sommant la caserne non renforcée. On remarque à hauteur d'œil les départs de l'arc intermédaire détruit par les tirs. A la fin des années 1870, le fort achevé devait présenter une remarquable esthétique, qui l'aurait rendu capable de rivaliser avec les plus belles réalisations de Raymond-Adolphe.

On en a une idée en se retournant, ce qui permet (ci-dessus à droite) d'admirer, après ce carrefour capitale-couloir de fond, la reprise de la galerie de capitale se transformant en descente vers la caponnière de tête via trois arcs de rayon décroissant. Pas exactement symétriques, les appareillages ne devaient cependant pas être très dissemblables.
Ci-dessus : pour 760 hommes, il fallait des cuisines d'une certaine importance. (Le four à pain, lui, détruit par un coup de gros calibre, était tout à fait au sud.) Initialement, elles étaient implantées dans le casernement sud. En dessous était creusée une des trois citernes totalisant 680 mètres cubes, dont on devine les glauques profondeurs dans l'éventration du sol. Sur les plans, on constate que toutes les citernes étaient munies de leur propre laboratoire. On appelait comme ça les compartiments où passait l'eau pluviale recueillie de façon à la filtrer (sable, graviers...) et à l'enrichir en sels (sable précité, mais aussi morceaux de fer, tant étaient connues les vertus de l'eau ferrugineuse).

C'est dans le couloir de fond (ci-contre), visible au travers des deux baies arrière de la cuisine, qu'est accrochée la pompe à bras dont on ne voit plus que le support. Entre elle et les degrés il y a un trou d'homme de nettoyage. Si on tombe dans la citerne et qu'on ne s'est ni assommé ni noyé, on peut peut-être ressortir par là.

En effet, le fort de Tavannes est dépourvu de puits. L'alimentation en eau des forts de la rive droite de la Meuse était d'ailleurs un vrai problème, jamais bien résolu. Les aquifères étaient généralement trop profonds, en tout cas sous les forts qui en auraient eu besoin, et les quelques sources, comme celle de Tavannes, nécessitant des machines élévatoires visibles et donc très vulnérables. Quant aux canalisations de distribution, à peine enterrées, elles ne remplissaient pas longtemps leur rôle en temps de bombardement.
En plusieurs endroits pas trop dévastés, certaines parties de l'ouvrage montrent des aperçus magnifiques.
Il faut remarquer le soin des tracés stéréotomiques. Ici, dans une traverse-abri du cavalier de la caserne non bétonnée, on note le savant appareillage des arcs et des nervures qui se prolonge par la voûte à redans de l'escalier conduisant vers le couloir de fond, escalier dont les volées sont d'ailleurs effondrées. Outre l'aspect plaisant du travail bien fait, le but était aussi un équilibrage des contraintes et des poussées de façon à résister au bombardement, au moins par les pièces contemporaines de l'édification du fort.
Les pièces voisines (ci-dessus et ci-dessous) n'apparaissent pas selon leur tracé actuel sur les plans de l'ouvrage et sont formées par le regroupement des locaux proches des anciennes écuries. La différence d'appareil et l'utilisation de briques dénotent un remaniement tardif. En tout cas, elles se trouvent près de la capitale, avant les casernes. L'éboulis est une conséquence d'un coup de gros calibre.