Le fort de Tavannes (suite)


La crise de l'obus-torpille de 1886 fit naître un intense échauffement cérébral dans les crânes militaires. Les méthodes défensives furent basées sur un doublage des voûtes originales par une épaisse couche de béton posé sur un lit de sable amortisseur. On remettait la terre par-dessus. Les façades étaient également doublées. Ci-après, trois époques de construction dans cette caserne bétonnée : la première, originelle, en moellons calcaires, désormais invisible de l'extérieur ; la deuxième, c'est le renforcement par béton, au-dessus de la caserne après arasement du cavalier et verticalement par accolement d'un masque également en béton mouluré, pour faire joli (on est à l'époque du renforcement quarante ans avant les ouvrages Maginot qui ne se souciaient plus d'esthétique) ; la troisième, c'est l'obturation en tout-venant (assises inégales que Vitruve aurait appelées pseudisodomum) des ouvertures des casemates. L'irruption des gaz de combat au milieu des armes conventionnelles nécessitait l'étanchéité des locaux pour leur mise en surpression.
La caserne à l'épreuve de Tavannes.
La caserne bétonnée était accessible par la façade (voir la photo ci-dessus) mais aussi par un couloir nord. Ci-contre, la gaine prolongeant initialement le couloir de fond des casemates et rejoignant la rue du rempart reçut elle aussi le doublage de béton. Pendant la guerre, dans le cadre des travaux de mise en défense, elle fut coupée d'un épais masque percé d'un créneau de tir.

L'observatoire cuirassé visible ci-dessous a probablement été installé en 1916 pour surveiller le secteur nord-est du fort. On a trouvé le moyen de faire coïncider une des descentes dans les galeries profondes exactement avec sa verticale.
L'utilisation des casemates de la caserne renforcée n'est plus guère lisible aujourd'hui (pas plus que celle des autres, d'ailleurs). Seules les archives nous apprennent que, par exemple, la pièce photographiée ci-après était pour la moitié arrière (celle-ci) une infirmerie dotée de son propre ventilateur (sur une cloison disparue depuis longtemps). Pourquoi pas ? Ce qui ressemble à une gouttière en est une.
Pendant la bataille de Verdun essentiellement, le fort reçut plusieurs dizaines de milliers d'obus, dont plusieurs dizaines de 380 et de 420. D'ailleurs, le renforcement bétonné de la caserne gauche remplit parfaitement bien son rôle, et même la caserne sud, non protégée, qu'on aurait pu croire entièrement pulvérisée, ne montre pas autant de dégâts qu'on pourrait le croire.

Courant 1916, Tavannes et tous les forts sur le front firent l'objet des travaux 17 : le génie procéda au creusement de complexes galeries souterraines profondes, à une douzaine de mètres en moyenne et donc, dans le fort qui nous intéresse, dans un calcaire se délitant en plaquettes. Elles comprenaient tous les locaux de vie, infirmerie, PC, transmissions, chambres, magasins, ateliers, se reliaient à la superstructure existante par des puits, des escaliers, des rampes, communiquaient de la même façon avec des défenses déportées comme les casemates Pamart pour mitrailleuses, comportaient souvent une sortie discrète plus ou moins éloignée et, enfin, ne recevaient l'air extérieur que par un système de filtres retenant les gaz de combat.
Le blockhaus visible ci-dessus, qui se trouve au sud-sud-ouest du fort, est le seul exemple connu de blockhaus Pamart. Cet officier du génie a laissé son nom aux cloches d'acier pour mitrailleuses, connues comme le loup blanc à cause de leurs deux embrasures frontales légèrement divergentes divisées par un séparateur central, ce qui les fait ressembler à une tête d'éléphant avec sa trompe. En revanche, le blockhaus issu du même concepteur est un édifice de béton armé, à six embrasures (mitrailleuses et lance-grenades). Le cloisonnement intérieur de renforcement laisse un accès au puits conduisant aux galeries inférieures (visible en page suivante).
Ci-dessus : chacune des trois caponnières a été percée d'un puits. L'avantage était de multiplier les attaques au rocher, en découplant les équipes, et ensuite évidemment de ménager plusieurs accès aux galeries 17. Photo du haut, la caponnière centrale prévue à l'origine pour défendre les deux fossés convergeant vers le saillant de tête, orienté vers l'est. L'énorme puits communique avec une galerie équipée d'une voie en 40 et se dirigeant plein est vers le boyau d'Altkirch. Les rails, supportant probablement un platelage, datent de l'époque du fonçage.

Au nord, le puits de la caponnière du saillant II (photo ci-contre) devait s'ouvrir sur les galeries rejoignant une cloche Pamart de type classique ainsi que le tunnel ferroviaire (voir plus loin) et se raccordant à la caserne bétonnée, travaux restés en majeure partie inachevés.

D'autres puits débouchaient dans des casemates, comme celle qu'on voit ci-dessous et qui n'est pas à l'épreuve. Elles servaient aussi de décharge pour y entasser ce qu'on pouvait de terre provenant des creusements.
Ci-dessous : dans un ancien magasin du génie inclus dans la caserne bétonnée, on installa une petite usine électrique. On distingue les départs des câbles sur isolateurs et, au sol, les supports des fûts de carburant. Il s'agissait essentiellement d'alimenter l'éclairage mais rapidement il fallut, outre l'extension des lampes dans les galeries profondes qui se développaient, assurer le fonctionnement des projecteurs du poste optique et, tout aussi important, celui des perforatrices des sapeurs avançant le creusement des souterrains. En 1916, il y avait donc dans le fort, répartis dans deux usines, deux groupes électrogènes Ballot de 10 kW (13 chevaux) sous 220 volts qui devaient fournir l'énergie à 68 ampoules, à un treuil électrique de 4 chevaux et à des perforatrices de 1 et 4 chevaux.

Les magnétos des groupes, d'une fiabilité très relative, sont fréquemment en panne et interrompent travaux de mine et éclairage.




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