Le tunnel aux algaires

En 1885, le programme belge dit des canaux houillers (loi du 4 août 1879) imposa le passage du gabarit du canal de Bruxelles à Charleroi de 70 à 300 tonnes, entre autres afin de faciliter la navigation des péniches françaises de 280 tonnes. Comme ce canal comportait déjà un passage en souterrain qu’il aurait été scabreux d’élargir, on décida le percement d’un second tunnel au nouveau gabarit, à quelques centaines de mètres du premier. Long de 1050 mètres et creusé selon la " méthode belge ", il offrait une section de près de 63 mètres carrés et était constitué d’une épaisse maçonnerie de brique retenant des terrains argilo-sableux fluants et aquifères, dont l’excessive propension à la formation de fontis avait déjà compliqué à l’envi la tâche des perceurs du premier souterrain.

Le mode de traction des bateaux, halés par des chevaux, était bien sûr assuré sous la voûte par la présence d’une banquette montée sur colonnettes de fonte reposant sur le radier.

En 1958, le creusement, en tranchée cette fois, d’un nouveau canal de 1350 tonnes aboutit à l’abandon de ce second tunnel, qui lui-même avait condamné à mort le premier trois quarts de siècle plus tôt. Sur la banquette désertée, sur la rambarde rouillant paisiblement, sur les piédroits et les claveaux commencèrent à se développer de fantastiques efflorescences : algaires à l’aspect quasi organique, stalactites et stalagmites à l’accroissement rapide, inquiétant et inconsistant mondmilch, bivalves métalliques où peut-être la calcite s’allie à l’hydroxyde de fer, irradiants pseudopodes nés de la brique…
Aujourd’hui site scientifique dédié à l’analyse des flux hydrauliques, ce souterrain, de par la surprenante mais fragile richesse de ses concrétions, n’est à aborder qu’avec beaucoup de respect et de précautions. Ce n’est pas pour autant qu’on doit le fermer (d’ailleurs, que durent les fermetures ? A peine plus que ce que vivent les roses…). C’est pour cela pourtant que les visiteurs doivent le pouponner.

 

 

Rempli d’eau stagnante sur les trois quarts de son parcours, le tunnel est envasé sur le restant. Percolant depuis la surface, une abondante circulation d’eau favorise la genèse d’un riche concrétionnnement. On remarque que la banquette est protégée par une rambarde de fer. Assez basse, elle n’empêchait pas le passage des cordes de halage, fixées de toute façon sur l’encolure des chevaux. Les canaux français n’offraient pas cette assurance.

 

Stalactites aux formes étranges.

 

 

Draperies.

 

La banquette de circulation, sur une grande partie du souterrain, est recouverte de calcite, ici sous forme de gours.

 

Coulée.

 

Moonmilch.

 

Racines encalcitées.

 

Quelques aspects de la rambarde.

 

Complètement nappée de calcite.

 

Enserrée d'une sorte d'algaire sous la forme d'un petit dôme stalagmitique.

Ou encore corrodée et oxydée avec amorces de bivalves.

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Le courant d'air fait parfois naître des concrétions en excentriques.

 

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Moisissures en têtes d'épingle, taille 1 cm.

 

Stalactites comportant des cristaux aciculaires colorés par l'hydroxyde de fer et déposés par l'eau carbonatée, taille 3 cm.

 

Cristaux de calcite colorée par l'hydroxyde de fer, taille 3 cm.

 

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" Bivalves " : ces curieuses concrétions, nées du fer de la rambarde et poussant sur lui, observées également dans des lieux éloignés, comme les carrières d’Herblay, mais dans des environnements quasi identiques, ressemblent étonnamment à leurs homologues organiques traditionnellement dégustés en Belgique avec des frites. Constituées de deux demi-coquilles aux stries d’accroissement bien visibles, elles sont généralement remplies d’eau et fixées sur leur support par n’importe quel point de contact. La rambarde étant en acier doux, peut-être le carbone lié au fer joue-t-il un rôle dans leur développement. Sur la photo de la rambarde rouillée on voit des demi-coquilles inférieures déjà envahies par l’hydroxyde de fer.

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Les algaires : constitués à partir de minigours mais ressemblant à de la matière cérébelleuse, ils sont observables sur une partie de la banquette proche de l’accès principal. Les filaments de calcite ont une hauteur tantôt identique, tantôt décroissante. La genèse de ce type de gours, peut-être sur une base soufrée, n’est pas très bien connue.

 

 

Cette concrétion algaire enchâsse somptueusement une perle des cavernes, mais ce n’est pas la règle.

 

Faut-il répéter que les bottes, même les bottes de tendre caoutchouc des attentionnés spéléos, doivent passer loin de ces merveilles ?

 

Voir particulièrement Spéléochronos n° 4, 1992, et

les Annales des travaux publics de Belgique, n° 5, 1986.

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