Les carrières de Vassens


Les exploitations anciennes 1

Au nord de Vic-sur-Aisne, donc au nord-ouest de Soissons, s'étend encore en sous-sol la masse de calcaire lutétien qui va disparaître à quelques dizaines de kilomètres à l'est. C'est dans cette masse quasi inépuisable que sont creusées toutes les carrières de pierre à bâtir sous-minant Paris, le nord et le nord-ouest de la capitale, et toute la région nord-est pratiquement jusqu'à Craonne.

Les deux plus importantes exploitations de calcaire grossier de l'Aisne, d'ailleurs toujours en activité, se trouvent précisément à l'ouest immédiat de Soissons : il s'agit de Saint-Pierre-Aigle et, en l'occurrence, de Vassens. Sous la partie nord du plateau s'étendant entre Autrêches, Massenancourt, Vassens et Audignicourt le temps, les hommes et les vicissitudes de l'histoire ont composé un extraordinaire patchwork de carrières souterraines abandonnées riches en paysages grandioses, surprenants, en graffitis, en vestiges civils et militaires, en voitures brûlées (bon, on s'en passerait) et d'exploitations récentes menées à la haveuse. Riches aussi en mystères historiques, percés petit à petit au terme d'enquêtes patientes, la disparition totale en 1940 des archives antérieures à cette année au cours de l'incendie de la préfecture de l'Aisne n'ayant pas contribué à arranger les choses.
Une rumeur fait remonter les premières exploitations au XIIe siècle. Aucun indice matériel ne vient le confirmer absolument, les méthodes n'ayant guère varié jusqu'au XVIIIe siècle. Seule l'analyse pétrographique de monuments datés pourrait en être une preuve. De toute façon, les zones attaquées à l'époque ont disparu soit dans des remaniements, soit dans des effondrements. En effet, les entrées généralement en cavage étant près des versants, les zones proximales subissent les effets de déversement et de failles, parfois d'éboulements, encore constatables de nos jours, propres à cette configuration géomécanique.

Les vides dont la géométrie est la plus archaïque (ici, cela peut signifier le XVIIIe siècle finissant), peu étendus d'ailleurs, sont ceux de la Vieille Carrière, mais aucune inscription, aucun graffiti ne viennent le confirmer. Pas de trace de lance, simplement de l'aiguille et du pic. Pas de traces d'occupation militaire à l'intérieur, sauf à l'entrée, probablement parce que dès 1914 les vides n'étaient déjà pas rassurants.
Les graffitis ne nous permettent pas de remonter au-delà de 1812, dans les vides de la Vieille Carrière. Au Four à chaux, l'inscription « 1841 Lamartine » se réfère peut-être à un célèbre poème de l'auteur du Lac, la Marseillaise de la paix, remontant à cette même année et s'adressant au Rhin. (L'Allemand Becker y répondit du tac au tac par der Deutsche Rhein.) A cette époque, nonobstant les supposés vides préexistants, divers carriers ont commencé à tirer la pierre assez loin les uns des autres, et surtout à décorer les parois d'inscriptions. L'absence totale de mention de carrières à Vassens dans le Département de l'Aisne, rédigé par Jean-Baptiste Brayer en 1825, ne fait que les mettre à égalité avec d'autres exploitations axonaises dont on sait qu'elles existaient, mais d'importance médiocre.
Graffiti de 1812.
En partant du sud-est et en faisant un arc de cercle sinistrorsum on trouve d'abord les Fosses Gaudriller, puis la Carrière neuve, ensuite non loin de là, fort rapprochées, la Grande Carrière, la Vieille Carrière et le Four à chaux. Cela, c'est pour les exploitations historiques. A l'extrême ouest, sur le territoire d'Audignicourt, une minuscule carrière appelée Jean Lebel, aujourd'hui bouchée, a transmis son nom en 1955 à une exploitation plus importante, appelée d'ailleurs en quelques années à une extension fulgurante.

Ci-dessous, deux autres vues des travaux archaïques de la Vieille Carrière, non dénuée de charme : un atelier sur deux niveaux et, dans le cavage subsistant, une pierre creusée en abreuvoir.
Ici, un paysage typique de la Grande Carrière et des vides de la seconde moitié du XIXe siècle, avec ses masses de remblais, ses multiples lits d'extraction à l'aiguille et à la lance et, en conséquence, ses hauteurs d'exploitation imposantes.
En ciel, parfois, se révèlent quelques fossiles comme, ici, une algue tertiaire. La masse exploitée dans le Lutétien supérieur offre un banc franc surmonté du banc royal. La désignation professionnelle des carriers est sensiblement différente (voir en p. 7 L'exploitation moderne). Dans tous les cas il s'agit de pierre tendre, de faible résistance (en moyenne une centaine de kilos au centimètre carré, et une rayure au scléromètre de 1,8 à 2 mm) apte à être facilement taillée. Le rapport d'eau absorbée par rapport à une porosité assez élevée (40 % en moyenne) ne la rend pas trop sensible au gel sous condition d'une mise en œuvre dans les règles de l'art.
Ci-après, une bifurcation des rues vers le Four à chaux et ceux conduisant, plus loin, à la Vieille Carrière. Elle a été retaillée à coups d'explosif comme le montrent les portions de sphère de rupture au toit.

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