Les carrières de Vassens


Les exploitations anciennes 2

Quelques-vues montrent ci-après différents paysages des exploitations. Celles-ci, même éloignées spatialement (les unes dans le Four à Chaux, les autres dans l'ensemble Vieille Carrière/Carrière neuve) sont contemporaines et les méthodes sont communes, à l'aiguille et à la lance. En plusieurs endroits d'anciens chopins, formant quais de chargement, derrière les profondes ornières des chariots, rassemblaient la production des ateliers du moment. Parfois aussi un réseau d'étage différent (supérieur ou inférieur, l'un pouvant devenir l'autre au gré des descentes) vient se superposer d'une façon quelque peu labyrinthique aux volumes principaux. Le sport est de déterminer les antériorités, ce à quoi peuvent aider un peu les graffitis.






La masse calcaire est très riche en puisards fossiles d'origine karstique remplis de limon des plateaux, qui se vident petit à petit. Les diamètres les plus constatés sont généralement d'ordre métrique, mais parfois, quand la cheminée est particulièrement volumineuse, on assiste à un soutirage spectaculaire. Spectaculaire, le débourrage de ce puits (ci-contre, le cône d'éboulis se trouvant sur la droite) l'a été encore plus depuis le sol. Le cultivateur, sans fin ni cesse, a dû apporter d'innombrables tombereaux pour le colmater...
Ci-dessus la galerie d'accès à la Carrière neuve. Ces vides, les derniers à avoir été entamés avant l'exploitation de 1955, peuvent être datés d'environ 1885. Ici et là une nouvelle date montre l'avance du travail. Il est toujours effarant de constater dans ces anciennes carrières la vitesse à laquelle on arrachait la pierre, même si l'arrivée de la lance, mi-XIXe siècle, fut un facteur d'accroissement de la production. A gauche, l'inscription peinte « Alvéole A » rappelle l'utilisation militaire de 1939-1940 (voir plus loin).
Tous les vides primitifs ont fini par se rejoindre. Au moins en un endroit (photo ci-contre) la séparation a été clairement indiquée, en l'espèce entre la Carrière neuve et la Grande Carrière à leur point de contact sur la voie principale.
Sans être un concentré d'histoire de France, les parois de Vassens racontent parcellairement de nombreuses anecdotes et événements des deux derniers siècles. Elles ne cachent rien de ce qui a marqué la population des carriers. Ci-après, entre de nombreux autres, les photos des graffitis qui rappellent l'assassinat de Sadi Carnot par Caserio et celui de Calmette, le directeur du Figaro, par Mme Caillaux le 16 mars 1914 (elle a utilisé un pistolet automatique « d'un maniement beaucoup plus aisé » que le révolver précédemment proposé par l'armurier et que semble représenter l'image), ou encore le grand dessin inspiré par les rivalités entre la Triple Entente et la Triple Alliance. Ailleurs (photos non reproduites), c'est le quolibet dont on affublait le général Boulanger déchu (Boulanger sans farine), ou un mot mi-affectueux mi-ironique sur le président Fallières. Un gros album serait nécessaire pour illustrer toute la richesse pariétale de cette carrière.



La veste à Crispi : vingt-deux ans avant deux graffiti militaires italiens de la Grande Guerre qui apparaîtront en page vass5 du présent sujet, l'Italie fait l'objet d'un dessin d'Albert Trotin (ci-dessus), rappelant une sévère défaite des troupes de la péninsule. En effet, le 1er mars 1896, l'armée italienne s'est lamentablement ramassée à la bataille d'Adoua contre les Ethiopiens. On appelle ça prendre une veste. Et le président du conseil italien de l'époque, un va-t-en-guerre du nom de Francesco Crispi, qui avait initié cette campagne, a dû démissionner. Une caricature de presse (ci-contre) parue dans le supplément du Petit Journal du 14 juin 1896 illustrant l'article fut la source d'inspiration de Trotin. Le Petit Journal atteignait l'Aisne sans problème et avait clairement des lecteurs parmi les carriers, dont Albert Trotin (probablement né autour de juin ou juillet 1877) qui commentait avec délectation les nouvelles de la surface.
Un carrier, très probablement Albert Trotin dont on vient d'admirer le joli coup de crayon, a rappelé dans le grand dessin ci-dessus un sujet politique important des années 1900. La Triple Entente, constituée de la Russie, de la France « toujours prête » et de l'Angleterre qui tire son épingle du jeu quoi qu'il arrive, cerne la Triple Alliance, composée de l'Italie, de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, « tenant conseil » sur une table de fortune dans des attitudes viriles et bravaches. Les choses étant ce qu'elles sont et l'Histoire ce qu'elle est, on pourrait dater ce dessin de 1905 à 1907, au moment où l'Angleterre évalue les autres nations pour être « du côté du plus fort » afin de continuer à « emplir son sac ». L'ancre dans la main du personnage et le bateau en sac à dos désignent clairement la personnification. Quant au rictus sardonique, il est inqualifiable.
Les références républicaines, chères aux ouvriers en général, ne sont pas absentes : qu'elles accompagnent des drapeaux, qu'elles agrémentent des initiales ou qu'elles viennent proclamer la qualité de carriers républicains (déniée en dessous par une épigramme vengeresse...), elles rappellent le parcours politique du petit peuple.

Enfin, perpétuant le nom de modestes ouvriers, les noms des carriers, soit seuls soit accolés d'une date : leur classe, ou leur âge, leur domicile, ou l'achèvement du chantier, ou les dimensions des blocs qu'ils ont extraits, ou la date du tirage au sort qui les envoyait à la caserne pour trop longtemps...

Une mention spéciale à l'épithète accolée au dénommé Pottier : bouc banal. Renseignez-vous sur la fonction qu'assurait le bouc banal...

Il faut noter que, fait assez inhabituel dans cette région, aucune partie de ces souterrains n'a jamais été réutilisée en champignonnière. Les carriers ont régné jusqu'à la fin. (L'inscription est logique, du fait de leur règne les carriers de Vassens ne pouvaient pas être des vrais républicains.)