Les carrières de Vassens La Première Guerre mondiale 1 |
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Investies par les troupes allemandes dès le début de la guerre, les carrières
de Vassens furent aussitôt inspectées et aménagées pour en faire un important abri. Elles reçurent un nom de baptême germanique, ce qui n'est
guère étonnant. Ce qui l'est plus, c'est que les Français, pas particulièrement au courant de ces souterrains et dans l'ignorance et de leurs
noms, et de leur étendue, et de leurs accès, reprirent les désignations allemandes sur leurs canevas de tir. Les photographies aériennes et
l'interrogatoire de prisonniers ou de déserteurs affinèrent la connaissance de ces vastes cavités. Les Fosses Gaudriller devinrent Totenwäldchenhöhle (le Bosquet des morts), la Carrière neuve Scheinwerferhöhle (le Projecteur), la Grande Carrière et la Vieille Carrière Andertenhöhle (patronyme ou localité), l'entrée industrielle Galgenhöhle à cause du treuil qui, à 300 mètres de là, surmontait le puits d'extraction et qui ressemblait à un gibet (der Galgen). Au hasard des interrogatoires, des interprétations, des surinterprétations, on crut aussi du côté français à l'existence d'une carrière Vézin, d'une « carrière sans nom » quelque part sur le plateau, etc. Manifestement très peu de gens côté français étaient capables de décrire correctement ces vides, le seul plan trouvé (en dépit des topographies des années 1890 et suivantes dont on rencontre de nombreuses stations au fond), horriblement incomplet, remontant manifestement aux environs de 1875. Il est certain que les Allemands n'en savaient pas plus, mais, occupant les carrières, ils étaient un peu plus à même de les étudier. Ce n'est pas pour autant qu'est vraie la légende des Allemands ayant travaillé dans le coin avant la guerre pour préparer leur invasion et leurs futurs repaires, avec tout son cortège de récits dignes de foi promis-juré-craché. Les Allemands, avant la guerre, ne pensaient pas plus que les Français à une guerre de positions, évidemment... Quant aux valets de ferme revenant fin 1914 chez leur ex-employeur sous l'uniforme d'officier du Heer, la perpétuation de ce mythe devient exaspérante. Comment ? Ah ! Des témoins dignes de foi ? Mais pourquoi leur nez s'allonge-t-il ainsi ? | |
En revanche, le créneau parfaitement discernable sur la vue ci-dessus
dans le pilier central permet à un fusil de prendre en enfilade l'entrée qui est exactement en face. A une mitrailleuse aussi
éventuellement, à condition de la laisser en dehors de l'ouverture à cause de la présence sur la Maxim 1908 de l'encombrant refroidisseur
à eau. S'il s'agit bien d'un aménagement défensif, ce qui après tout n'est pas absolument prouvé malgré la forte présomption, on peut
s'étonner de l'absence de dispositifs identiques dans les autres entrées. Cela dit, leur utilisation après la guerre a sans doute fait
disparaître les défenses, alors qu'à Galgenhöhle le créneau était intégré dans un pilier ne gênant en rien la circulation des véhicules.
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Si à l'extérieur, par exemple près des entrées, les traces pariétales du
séjour des Allemands ont été abîmées par les intempéries ou par un sot burinage, à l'intérieur au contraire elles abondent sous de
multiples formes : en ciel, isolateurs pour les canalisations électriques, au sol, munitions, bouteilles de vin, cruchons de steinhäger,
ustensiles divers souvent culinaires, brêlages, etc., sur les parois graffitis, indications directionnelles et signatures (photos ci-dessus ;
noter que c'est la flèche orientée à droite, sous l'inscription Zum nordliche Ausgang, qui indique véritablement le nord), vestiges
de carton bitumé isolant cloué dans les salles d'habitation.
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Les traces extérieures de Galgenhöhle ont disparu dans le réaménagement de
l'entrée. Quelques traces demeurent près des cavages de la Carrière neuve, des Fosses Gaudriller mais surtout (photo ci-contre)
d'Andertenhöhle, encore que les plus belles sculptures, dont une grande Croix de fer, ont été martelées par des rancuniers dépourvus de
sens artistique.
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Nous savons que les
149e et 79e Infanterie Regimenter séjournaient dans la carrière en 1917. Manifestement, dès 1916 le
149e y a laissé un écusson (ci-contre), gravé dans la Carrière neuve alors que le PC se trouvait à Galgenhöhle. Nombreuses sont aussi les traces de Pioniere, c'est-à-dire les sapeurs, soit en simple souvenir d'un séjour, soit scellant des travaux de creusement. | |
De temps en temps, un compte rendu d'interrogatoire nous en apprend plus
sur l'occupation allemande. Par exemple, que le 23 septembre 1916 Galgenhöhle recèle le PC du régiment Hiepe
et ses 3 compagnies, les cuisines, la cantine, les chambres d'officiers, les chambres et bureaux du major Hiepe et des téléphonistes.
Le PC et une compagnie du 160e IR sont installés à Scheinwerferhöhle avec les cuisines, la cantine,
les habitations du chef de corps et les téléphonistes. Evidemment, les unités changeaient régulièrement, l'effectif aussi. En 1917, quand les Français occuperont ces carrières au cours de leur avance, ils en établiront les capacités d'hébergement : le complexe peut abriter 17 000 hommes, dont 13 500 pour la seule Carrière neuve. Je les soupçonne d'englober dans cette dénomination la Vieille Carrière et la Grande Carrière. | |
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Des batteries d'artillerie, répertoriées sur les canevas de tir, bordaient
les flancs du plateau. En au moins un endroit, à l'est, un escalier (à présent obstrué) creusé par les Pioniere reliait directement
l'une d'elles au souterrain. Les trois vues ci-dessous montrent d'une part la signalisation (française) de l'escalier depuis la galerie
principale, d'autre part l'indication de la montée (Aufgang) d'abord en ciel du passage conduisant à l'escalier, ensuite juste à côté
des premières marches, accompagnée du rappel du numéro de la batterie, le 756.
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Indiquée par un discret graffiti (« Cimetière boche »), la
localisation de ce qui pourrait être un ensemble de sépultures, d'ailleurs mentionné par les déclarations d'un prisonnier en 1917. En ciel
quelques croix le rappellent.
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Le repli allemand de mars 1917, destiné à rectifier le front en prévision de
la seconde offensive française du chemin des Dames, libéra la zone anciennement occupée et donc les carrières. Les troupes françaises les
investirent alors jusqu'à l'offensive allemande du 28 mai 1918. C'est au cours de ce séjour qu'elles y laissèrent quelques traces contemporaines
précisément datées, dont ce très beau graffiti du 1er zouaves.
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