Les carrières de Vassens


Utilisation militaire pendant la Seconde Guerre mondiale


Les compagnies de transmissions et de communications

En 1939, l'armée de l'air installa le commandement de deux de ses compagnies de transmissions (la 704e CT et la 751e Cie de réserve générale) au château de Blérancourt, à quelques kilomètres au nord de Vassens. Le choix de Blérancourt était dicté par sa proximité du front et par la présence de carrières capables d'héberger les nombreux véhicules de l'échelon (camions et voitures radio, véhicules générateurs, de transport de troupes ou de matériel, de maintenance, motos de liaison, etc.)

L'entrée adoptée fut celle de la Carrière neuve, et les alvéoles aménagées réparties entre cette dernière et la Grande Carrière (déjà devenue Four à chaux), quelques garages se situant vers le sud en direction des Fosses Gaudriller. Malgré la destruction des archives de la compagnie, brûlées en 1940, on estime à une petite centaine le nombre de véhicules ainsi mis à l'abri.
Ci-après, un extrait du plan topographié par Lamure et tracé par Olivier Donce. Vu la rareté insigne de cette pièce mais aussi le sans-gêne absolu de certains pilleurs de sites (souvent ce n'est pas de leur faute, leur imbécillité acquise ou congénitale inhibant tout sens de la responsabilité ou même de la simple courtoisie), je l'ai défiguré afin que nul ne le rediffuse sans le consentement du légitime propriétaire.
Une équipe d'une quinzaine de personnes, secondée en quelques occasions par des carriers professionnels, entreprit à partir de novembre 1939 les importants travaux de topographie, de vérification du gabarit des galeries, d'aménagement des alvéoles et, à l'extérieur, de rectification du virage final de la route dont le S très serré s'opposait au passage des camions à remorque.

Ce qui est extraordinaire, c'est que les nombreuses traces de cet épisode absolument méconnu sont encore parfaitement visibles et identifiables aujourd'hui dans le souterrain, totalement incompréhensibles pour les innombrables visiteurs qui les ont vues sans savoir leur histoire. Dans cette page, nous allons les déchiffrer.
Les travaux ressortissant spécialement à l'art du carrier étaient assurés par des équipes mixtes de soldats et de professionnels de la pierre, comme ceux qu'immortalise le cartouche ci-dessus. On note particulièrement la fonction de chef carrier.
Les alvéoles servant de garage aux véhicules étaient signalées par des inscriptions à la peinture rouge. Elles étaient desservies par des voies portant parfois le nom d'un des soldats. Ci-dessus, par exemple, l'adjudant Gayot, surnommé Pinoche, a eu le rare honneur de baptiser une rue de son vivant. Autre exemple : plus loin au sud, on passe devant l'alvéole Louf (c'était vraiment son nom, pas un surnom).
La grande inscription ci-après, non loin de l'entrée, remontant à 1939, rassemble la date, le nom de la compagnie et le sigle « ZOAN » qui est l'acronyme de Zone d'opérations aériennes Nord, dont dépendait la 704e CT, et qui malheureusement ne comptait qu'à peine moins de 400 avions de toute sorte, quatre fois moins que la Luftwaffe...
Passage de la 704e compagnie de transmissions.
Ci-dessous sont rassemblés en un site unique l'exploitation de la pierre et l'utilisation militaire. Dans ce grand atelier où les coins (1) sont encore en place dans les essimures (les tranches verticales qu'on distingue bien entre les blocs 4 et 5), la 704e Cie a aménagé un garage qu'elle a signalé dans les galeries et qu'elle a rappelé par l'inscription à la peinture sur le pilier central. Une pente douce débouchant sur la droite permet l'accès aux véhicules.
L'échelon comportait des stations mobiles légères « O » avec goniomètres montées sur camionnette légère Citroën 1 500 kg, des stations destinées aux détachements météo, des stations mobiles SIF sur Renault 3 000 kg avec groupe électrogène sur remorque, et des stations mobiles SFR sur Citroën 45 de 3,5 t, qui tractaient aussi des remorques.

(1) Le bloc étant dégagé sur quatre côtés, des coins de bois sec sont enfoncés dans la saignée verticale tracée à la lance ou à l'aiguille, puis forcés simultanément à la masse (outil). Le résultat est le défermage du bloc par rupture de sa face arrière tenant encore à la masse (pierre). Dans cet atelier garage, le temps s'est arrêté.
Les soldats de la 704e Cie, soucieux de contrôler quelque peu les intrusions, avaient clos leur espace par des grilles au nord et au sud de la Carrière neuve. Deux inscriptions en commémorent l'installation. La plus imposante, ci-dessous à gauche, concerne la porte nord, assez loin dans la galerie. Pendant la drôle de guerre, on avait le temps de faire joli. En bas à droite, celle de la porte sud doit son laconisme au début des choses sérieuses : le 15 mai 40, les Allemands avaient clairement manifesté leurs intentions, et d'ailleurs la 704 bouclait ses valises, puisqu'elle partit le lendemain.
En ce qui concerne la porte du nord, à gauche, remarquons que le panneau initial gravé en 1939 commençait à « Royaume des taupes ». C'est seulement au cours de la visite commémorative de 1947 (et qui fut suivie de quelques autres) que les anciens de la compagnie, sous le regard de leurs épouses, complétèrent le cartouche par le gravage d'un rouleau genre parchemin et de l'inscription « ... ouverte à nouveau... »

Le capitaine Boutet ni le lieutenant Baudin n'eurent droit à un diminutif. Seul le lieutenant Loizillon, qui loin des carrières souterraines termina la sienne dans la peau d'un général de brigade aérienne, vit se perpétuer l'affectueux « Zizi ».
Dans une galerie proche de l'entrée, ce joli cartouche frappé des ailes des aviateurs énumère plusieurs noms inscrits sur les effectifs de la compagnie, dont en deuxième position celui du sculpteur, Paul Dumont. Quelques-uns ont donné du fil à retordre au paléographe de l'ANATC, mais le déchiffrement a été néanmoins fructueux.
Omniprésent dans la Carrière neuve, le nom d'Henry Collin, un des principaux chefs d'équipe de la 704e CT. De son écriture reconnaissable il a laissé ses marques partout où la compagnie de transmission s'est installée. Outre ses qualités de travailleur, il savait paraît-il reconnaître et désigner aussi bien les champignons bons ou mauvais (il était titulaire du doctorat de pharmacie) que les astres et constellations qu'il enseignait à ses camarades pendant les retours nocturnes de l'hiver 39-40 jusqu'à leur cantonnement.
Fin août 2010, deux anciens de la 704e compagnie, Jean Aujoux et Jacques Duchaussoy, reviennent dans les galeries qu'ils ont connues et aménagées, accompagnés du secrétaire de l'ANATC. Un moment inattendu, très fort et très émouvant. Entre le cartouche et Jacques Duchaussoy, en hauteur, on remarque l'épure tracée en 1947 pour ajouter au cartouche initial une volute d'apparence parchemin.



Le Nachschublager 1407

Les compagnies de transmissions une fois repliées mi-mai 1940, les carrières retrouvent quelque temps le silence avant que les Allemands à leur tour, dans le cadre du déploiement V2, y fassent quelques repérages et y laissent une signalisation. L'aménagement en Nachschublager (dépôt) de la carrière sous le code 1407, envisagé en décembre 1943, devait héberger 600 fusées A4, soit la même quantité que 1402 (Savonnières-en-Perthois) mais 100 de moins que 1401 (Méry-sur-Oise, carrière Hennocque). D'autres priorités se faisant jour, ce programme est annulé dès avril 1944. Si la largeur des galeries excède en règle générale le gabarit d'un V2 (2,5 mètres), la longueur de la fusée aurait certainement nécessité des travaux de rectification de virages et de consolidation tels qu'on peut les observer à Savonnières-en-Perthois, mais qui ne furent jamais entamés à Vassens.

Les Allemands réutilisèrent les vides déjà aménagés par la 704e CT, l'entrée de la Carrière neuve étant décidément la plus pratique. De surcroît, elle est de plain-pied avec la route, ce qui n'était pas le cas du Four à chaux accessible seulement par une rampe sévère. Il semble d'ailleurs que les nouveaux occupants condamnèrent l'entrée de cette dernière par un blocage de pierre qui ne fut dégagé qu'en 1954.
Depuis l'entrée principale, la Hauptstraße (la rue principale) dessert rameaux et alvéoles de stockage. Les Allemands, plus précis que les Français, avaient marqué d'un grand panneau directionnel à trois branches (ci-dessus) le carrefour répartiteur vers les alvéoles de stockage situées, à gauche, en direction des Fosses Gaudriller, au milieu et à droite en direction de la Carrière neuve. C'est le fameux Collin, le célèbre mycologue, qui au cours de la visite commémorative de 1949, se mit à barbouiller de peinture noire la signalétique allemande et, accessoirement, les propres indications de la 704 ! Je ferai remarquer incidemment que les Allemands n'avaient nullement souillé les inscriptions françaises...

Plus bas, les cartouches dirigeant les Panzerkraftwagen (véhicules blindés) voisinent aux confins septentrionaux de la Grande Carrière avec un curieux aménagement qui pourrait avec beaucoup de bonne volonté faire penser à un autel. Ce n'en a jamais été un, il s'agit en réalité d'un montage récent...






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