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Bien avant que la Belgique s'appelât ainsi, la ville d'Anvers occupait une situation privilégiée militairement et commercialement, son
énorme port à l'embouchure de l'Escaut lui offrant un canal d'approvisionnement et un moyen de fuite. Ses divers gouvernements s'employèrent
d'ailleurs au fil des siècles à la fortifier. Mais, dès l'indépendance, se retrouvant ville frontière tout près des Pays-Bas, son rôle
apparut encore plus clairement : située exactement au nord de Bruxelles, loin de voisins redoutables, l'Allemagne (plutôt la Prusse à
l'époque) et la France, il est tout naturel qu'elle ait été adoptée comme réduit national, là où les forces du pays, acculées (jusqu'à la
tranchée) en cas d'invasion, pouvaient se regrouper et se réorganiser. C'est ainsi qu'en 1859 on décida de la ceinturer d'une enceinte défendue
en limite de portée des canons de l'époque par 9 forts (nos I à VIII, au sud de la ville, plus celui de
Merksem au nord), dessinés et conçus par Henri-Alexis Brialmont dont ce furent les premières réalisations majeures, bien avant les forts
en béton des places de Liège et de Namur. Aujourd'hui, ces étonnantes fortifications nous déroutent en même temps qu'elles nous fascinent. Nous déroutent par suite de leur matériau, la brique, moulée et cuite sur place, et de conceptions militaires dont nous croyons qu'elles sont presque encore médiévales ; nous fascinent par suite de la mise en œuvre de leur matériau la brique et de leur aspect presque encore médiéval, bien qu'elles soient en fait situées à la charnière de deux époques, entre les conceptions héritées des ingénieurs d'avant le XIXe siècle et les réflexions ayant abouti à la fortification polygonale dont elles montrent en réalité les premières mises en pratique. Qu'elles soient ainsi apparentes, hors de sol, qu'elles ne soient pas enterrées, est obligatoire en une région où les nappes phréatiques ne sont jamais profondes, à tel point que les derniers ouvrages anversois avant la Grande Guerre ne sont pas non plus enterrés. D'ailleurs cet inconvénient s'est transformé en avantage, tous étant entourés d'un large et profond fossé inondé en cette région où l'inondation fait partie depuis longtemps de l'arsenal défensif, le désavantage étant l'impossibilité de se protéger par creusement de locaux profonds. |
Inspiré d'un principe qu'il appliquera plus tard aux forts de la Meuse, Brialmont dessina neuf fois le même fort, à de rares variantes
près, sur un plan trapézoïdal comportant cinq saillants numérotés depuis celui qui est en bas à gauche (de la figure ci-contre) mais auxquels
n'appartient pas la caponnière centrale détachée entre les saillants II et III. La gorge est protégée par un corps de garde au saillant V
et par des batteries flanquantes, les flancs latéraux de l'ouvrage par une demi-caponnière chacun, le front de tête par une caponnière
bidirectionnelle où est intégrée un casernement. Les tirs lointains sont assurés par de nombreux canons situés sur les plates-formes des
parapets et particulièrement au-dessus de l'extraordinaire réduit, le dernier donjon créé par l'architecture militaire, sorte d'énorme
tour oblongue, comme un fort Boyard terrestre, pièce maîtresse de l'ouvrage, à la fois poudrière, magasin, caserne, tour à canons.
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Une fois franchi le corps de garde, les choses sérieuses commencent et s'ouvre devant nous la capitale, interrompue à l'arrière-plan par la porte du réduit,
qui si elle était ouverte laisserait le regard traverser tout le fort jusqu'à la double caponnière centrale, disposition récente car à l'origine un glacis
sans communication directe protégeait le réduit des tirs venant de la direction ennemie. |
Il existait naturellement une certaine unité architecturale entre l'enceinte urbaine d'Anvers de 1859, aujourd'hui entièrement détruite, et les forts de la
première ceinture. Cela dit, les portes de la cité étaient pour beaucoup outrageusement monumentales. Sur les forts, la décoration de style médiéval militaire,
en plus des pendentifs sur console rappelant des mâchicoulis, est matérialisée par l'apposition de fausses embrasures d'archères cruciformes. On remarque
qu'il s'agit d'une imitation des archères tardives comportant en leur milieu une ouverture pour le passage d'une arme à feu. |
Les salles du saillant d'entrée (à peine peut-on appeler cela la gorge) ne sont pas très vastes. On y trouve les locaux
disciplinaires (photo ci-dessus) et une pièce où des cuves qui ressembleraient à des marmites reposent sur de massifs socles de brique. Mais ce ne sont pas des marmites,
encore que leur rôle dans le circuit digestif revêt dans une société policée une importance loin d'être négligeable. Qu'on devait y être bien à babeler de conserve en
attendant que ça se passe ! |
La galerie capitale peut être barrée en temps de siège par des poutrelles glissées dans les feuillures entaillant les piédroits, procédé traversant les siècles. |
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L'escalier (ci-contre) reliant les deux niveaux des locaux
de gorge joue en période de siège un rôle encore plus important. En effet, toutes les ouvertures en rez-de-chaussée étaient alors barrées par des poutres
entassées dans les feuillures (photo supra), interdisant au couloir en capitale de déboucher dans le fossé autour du réduit, et a fortiori
dans le réduit lui-même. La seule communication avec lui ne se faisait plus que par le pont, initialement à coupure par pont-levis, au premier étage
(photo infra), où l'entrée côté réduit était protégée par des créneaux de fusillade intérieurs. La dernière photo, montrant le réduit du fort
VII, met en évidence l'ancienne porte à l'étage, bouchée en briques à la suite de la suppression du pont. |
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