Les forts de la Meuse |
La défaite française de 1871, après le mémorable
siège de Paris, déclencha en Europe du Nord la construction effrénée de nouvelles fortifications permanentes tenant compte des
progrès de l'artillerie en portée, en précision et en puissance de perforation. En France le maître d'œuvre fut Raymond Séré
de Rivière, l'auteur des rideaux défensifs et des défenses de place comme Verdun, Epinal, Nancy, Langres, etc., en Allemagne
les territoires annexés furent protégés par les Festen, dont s'inspira sans réserve la ligne Maginot, en Belgique ce fut
Henri-Alexis Brialmont, qui fortifia essentiellement Anvers (en site humide, donc avec des exigences particulières) puis
Namur et Liège. | |
Il faut reconnaître que ces ouvrages avaient de bien étranges défauts.
Dès la construction, le béton n'était pas armé, d'où manque
de résistance. La coulée continue n'existait pas, d'où mauvais accrochage entre deux lits de béton. L'artillerie offensive est
beaucoup trop concentrée sur le fort et forme une cible unique. Il n'y a pas d'observatoire, ni avancé ni sur l'ouvrage (sauf
la coupole du phare à éclipse). Les positions d'intervalle ne sont pas somptueusement équipées en artillerie. L'extraction de
l'air vicié était inexistante. Les communications téléphoniques se font par fils aériens ! Des utilités comme les cuisines et
les latrines se trouvaient dans les locaux de gorge, de l'autre côté du fossé, donc inaccessibles en temps de guerre. On
imagine le résultat sur 400 bonshommes, acculés jusqu'à la tranchée, plus exactement à la reddition, par les fumées toxiques
de toute nature… Enfin, l'antique et sacré principe d'irréversibilité de la fortification pouvait jouer de vilains tours aux défenseurs : le but est d'empêcher l'ennemi, si par hasard il se rendait maître d'un ouvrage, de s'y retrancher. Pour cela, il suffit de construire la gorge, donc la partie du fort opposée aux positions logiques de l'attaquant, bien plus faible que les organes de tête recevant tout le choc de l'attaque. De cette façon la place peut pilonner le fort indûment occupé. Cela est bel et bon, mais quand par hasard l'attaquant contourne la position et s'en prend à la gorge sans être intercepté par la place (ou pire, quand il occupe la place avant de s'attaquer au fort), que se passe-t-il ? | |
Bâtis entre 1888 et 1891, les forts de Liège et Namur
suivent une systématique modulaire d'aménagement : construction enterrée en
béton, plan généralement triangulaire, artillerie à action lointaine ou rapprochée rassemblée sous coupoles dans un massif central
doté d'une sortie d'infanterie sur les dessus, encasernement dans des casemates de gorge logées dans l'escarpe du fort, défense
des fossés par coffres pour le saillant de tête, par caponnières flanquantes disposées à l'entrée ou par coffre pour le saillant I.
(La numérotation des saillants se fait dans le sens horaire en partant du saillant à la gauche de l'entrée.) Enfin, si la
contrescarpe est bétonnée, l'escarpe est faite d'un talus en terre coulante inclinée à 30 degrés où les dégâts des obus
étaient moindres que dans une escarpe maçonnée. |
Afin de protéger efficacement et en toute saison les abords et le massif central d'un éventuel investissement par l'infanterie
hostile, les concepteurs avaient fait planter de nombreux buissons d'ajoncs (Ulex europeaeus). Ces épineux dont les
feuilles pointues provoquent des blessures douloureuses protégeaient ainsi tous les forts de la Meuse. De nos jours, quelques
plants seulement subsistent ici ou là, entre autres à Saint-Héribert et à Malonne, probablement aussi ailleurs. |
Après-guerre, la fortification permanente fut considérée un temps avec suspicion, malgré l'impressionnante tenue au feu et l'aptitude à la résistance d'ouvrages français que l'on croyait inutiles (et qui avaient d'ailleurs été déclassés en 1915 !). Pourtant, en 1928, après des études sur le comportement des forts de Verdun et leur rôle dans la tenue de la place, il fut décidé de moderniser les ceintures de Liège et de Namur. Les points faibles avaient été la ventilation, l'observation, les communications, les commodités. Et naturellement le retard chronique de la cuirasse dans sa lutte contre l'obus. Afin de suivre l'évolution de l'artillerie tout en remédiant aux défauts organiques des ouvrages, les point suivants furent adoptés et appliqués avec des variantes locales : - creusement de nouveaux locaux de guerre à un niveau inférieur, dénommés ordinairement quadrilatère. Intégration de latrines. Les modifications aboutissant à une réduction de l'équipage de l'ordre de la moitié, le déblai est utilisé pour combler ceux des anciens locaux qui n'auraient pas trouvé une réaffectation (quelques casemates de gorge, les réservoirs d'eau dans le massif central, des puits de coupole, une des deux anciennes poudrières le cas échéant...) ; | |
- suppression ou remplacement des pièces d'artillerie obsolescentes. Soit
les puits des coupoles de leurs tourelles sont comblés soit ils sont aménagés pour recevoir des pièces plus
modernes. Les postes de tir correspondent alors directement avec le quadrilatère, et les puits de
tourelle sont surcreusés à cette fin. Les anciens locaux du massif central se trouvent donc totalement
désaffectés. Ils sont purement et simplement interdits aux soldats et fermés par des barrages de poutrelles
logées dans des feuillures des sas (on trouve parfois encore des sas pleins de poutres et de fûts). - renforcement des voûtes par doublage en tôle ondulée reposant sur un chemisage en béton armé. L'intervalle entre la tôle et l'ancienne voûte est également injecté de béton armé. Le prestataire étant la société Jowa, on a appelé les anciens locaux renforcés locaux Jowa ; - aménagement de postes d'observation ; - construction de fortins d'intervalle ; - sécurisation des communications : utilisation de la radio ; - ventilation : l'air frais est pris à une certaine distance du fort par une prise dénommée tour d'air, qui, risquant d'être investie, est équipée de défenses. Elle est reliée à l'ouvrage par une gaine plus ou moins longue (record battu à Andoy avec quelque 1200 mètres) dont une partie servira d'ailleurs à loger la grande antenne de radio. Pour alimenter les ventilateurs distribuant l'air et assurant au besoin une surpression empêchant les gaz toxiques d'envahir l'ouvrage, pour fournir de façon autonome le courant d'éclairage et des moteurs de coupoles, une vraie usine électrique est installée dans d'anciens locaux. | |
Quelques (très bons) sites sur la toile, tel
fortiff.be, et plusieurs (excellents) ouvrages détaillent de façon plus approfondie la genèse, l'histoire et
les spécificités de ces fortifications. Ici, plus précisément, attachons-nous à quelques-unes d'entre elles. |
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