La butte de l'Hautil

Port Maron

Les carriers en général, et ceux du gypse en particulier, n'étaient pas réputés pour leurs scrupules relativement au suivi des prescriptions des ingénieurs des mines. Que les quartiers en exploitation, qui n'étaient pas destinés à durer longtemps, n'aient reçu aucune consolidation est compréhensible, mais que les rues et les roulages n'aient pas été souvent mieux lotis est moins admissible. Plusieurs rapports s'étonnent de voir des ateliers desservis par une seule galerie à peine praticable par suite d'éboulements remontant manifestement à plusieurs semaines, sinon plus.

En revanche, quelques exploitations se voient exemptées de tout reproche, exemplaires autant par la régularité des routes et des piliers et la modération dans le défruitement que, si la nécessité l'exige, par le fini des consolidations et le soin des arcs de décharge.

C’est au milieu de cette butte, à Triel, parmi ces carrières bien entretenues, que se développèrent dans le premier tiers du XIXe siècle les exploitations de Port Maron, créées vers 1780 et appelées à devenir les plus importantes et d’ailleurs les dernières en activité. Après cent cinquante ans de coexistence avec les carrières voisines, celles de Chanteloup, à l’est, et celles de Vaux à l’ouest, l’abandon de ces dernières intervenu entre 1915 et 1925 laissait la place libre à Port Maron, devenue en 1919 la propriété de la Société anonyme de matériaux de construction (SAMC), tandis qu’elles-mêmes, en proie aux désordres qui affectent ordinairement les anciennes carrières, commençaient à bouleverser les chemins de surface.

Pendant plusieurs années, Port Maron livra deux sortes de gypse : le gypse dur, localisé en pied, qui servait essentiellement à faire du plâtre à mouler, et le gypse tendre, pour la construction. Puis la carrière ne produisit plus que cette dernière sorte.

La méthode d’extraction par piliers abandonnés, qui donnait un taux de défruitement de près de 80 %, fut remplacée au début des années soixante, après de nombreuses recherches menées par la SAMC avec l'aide d'ingénieurs des mines de fer lorraines, par le foudroyage dirigé de panneaux déjà presque entièrement dépilés, amenant le défruitement à plus de 90 %. En effet, considérant que le destin des piliers abandonnés est de s’effondrer un jour ou l’autre et donc de menacer la carrière, la seule conséquence de leur suppression devrait être d’entraîner l’affaissement concomitant de la surface mais aussi à brève échéance sa stabilisation. Pourtant, depuis plusieurs décennies on s’est rendu compte d’un effet indésirable : malgré ses avantages cette méthode perturbait les flux hydrogéologiques. Finalement elle-même a été abandonnée pour être remplacée, dans les carrières encore actives (Taverny, Le Pin, Clichy-sous-Bois), par le remblayage (déjà préconisé au… XVIIIe siècle !).

Port Maron n’a pas vécu assez pour connaître le remblayage. Après avoir absorbé pendant l'entre-deux-guerres les carrières immédiatement voisines, dont la carrière Vallée, Bourdon et Cie à Pissefontaine, elle devint une entreprise de pointe jusque vers 1970, puisqu’elle produisait annuellement pas loin d’un million de tonnes, mais finit par fermer en 1979, reclassant le personnel dans ses autres chantiers, comme Taverny.

 

Roulage supérieur de Port Maron.

 

Roulage inférieur de Port Maron.

 

 

 

 

Dans les anciens travaux, les carriers avaient une fâcheuse tendance à ne pas laisser beaucoup de gypse en ciel. Si l'importance était secondaire dans les chambres abandonnées, destinées de toute façon à s'affaisser, c'était malvenu dans les circulations. La tenue des ciels se faisait soit par des consolidations de gypse lié au plâtre, parfois réellement artistiques, soit, plus récemment et essentiellement dans le roulage, en boulonnant dans le toit profond un filet en grillage, qui courageusement résiste jusqu'à l'extrême limite de ses forces (photo d'archives).

 

Les fontis noyés, comme celui-ci supra qui chatoie dans les couleurs d'automne, déversant périodiquement leur contenu en carrière par suite de débourrage d'un bouchon, et les nappes d'eau souterraines ennoyant par voie de conséquence les galeries, sont la cause d'un péril pouvant devenir létal : en effet, l'eau de surface, qu'elle vienne des fontis ou de la percolation à travers le recouvrement marnocalcaire, s'y charge de dioxyde de carbone (ce qui la rend d'ailleurs apte à dissoudre une plus grande quantité de carbonate de calcium, et c'est ainsi que naissent les concrétions) puis se dégaze soudain en arrivant dans les galeries. Sa proportion dans l'air, habituellement inférieure à 0,04 %, augmente alors considérablement au détriment des autres gaz, dont l'azote, à qui sa proportion habituelle de 78 % permet d'en supporter sans mal la diminution, mais surtout de l'oxygène, ce qui est plus ennuyeux puisque la vie n'est plus garantie très longtemps en dessous de 14 % de ce fluide vital, habituellement dosé à 21 % (à 16 %, importante difficulté à respirer et épuisement rapide, à 12 % évanouissement et mort faute d'être immédiatement réoxygéné).
Parallèlement, quand la teneur du dioxyde de carbone excède 5 %, sa pression dans l'air atteint sa pression dans le sang, ce qui empêche l'échange gazeux.
Le phénomène n'est pas particulier à cette carrière, puisqu'on le trouve régulièrement en souterrain, mais à Port Maron l'étendue des vides noyés par rapport à la section des cavages ainsi que le manque quasi total de ventilation par suite de l'obstruction des puits (effondrements, coulées...) et des rares accès en accroissent dramatiquement les effets.

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