Carrière du Rû à Méry-sur-Oise
La carrière du Rû à Méry-sur-Oise est une des plus connues et des plus fréquentées de l'Ile-de-France. Même si son histoire n'est pas très ancienne elle est dense, et participe de l'histoire des techniques, de l'histoire sociale, de l'histoire militaire et de l'histoire des faits divers. Les pages en parlant en long et en large ne manquent pas sur le net, de divers niveaux qualitatifs, aussi mon ambition n'est pas de répéter à satiété ce qui est déjà dit ailleurs.

Je voudrais juste préciser quelques points peu connus, premièrement sur son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale, deuxièmement sur une innovation dans la conservation des champignons, troisièmement sur un élevage personnel de trompettes de Chavenay, quatrièmement sur son emploi comme prison dans l'affaire de l'enlèvement du baron Edouard Empain.
Seconde Guerre mondiale
Chaque visiteur connaît le long tunnel bétonné qui prolonge la tranchée extérieure continuant la plate-forme recevant les rails venant de la gare de Mériel, et aboutissant à des portes métal­liques destinées il y a longtemps à être provisoires. Les travaux de sur- et sous-creusement destinés à loger le tunnel s'arrêtaient à proximité du magnifique puits d'extraction qui débouchait sur une gare aux pierres proche de de la station de Méry-sur-Oise, d'où elles étaient transbordées sur des wagons. Ce puits a été comblé lors de la construction d'immeubles sur les dessus. D'ailleurs, à ce propos, m'étant aperçu qu'il n'y en a quasiment pas de photos en ligne, je me fais un devoir d'en insérer deux : une de l'impressionnant falbe (tout cataphile sait qu'il s'agit de la traduction en boro-waca d'un « puits vu d'en bas »), l'autre de quelques mignonnes sculptures qui se trouvaient à son pied, sur les nez de pilier.
Revenons à ce tunnel : il s'agit de la réalisation la plus spectaculaire et la plus emblématique du Nachschublager 1401 (code allemand) destiné à emmagasiner transitoirement de 600 à 800 (selon l'urgence) fusées A4-V2. Tracé dans les vides déjà existants, à la fois il les sur-creusait et les sous-creusait, en même temps qu'une voûte de béton, outre un rôle de protection, fournissait un solide support pour les ancrages de monorail, de canalisation, etc. L'aération directe était assurée par trois puits protégés en surface surmontant des cuves de contention. Commen­çant légèrement en courbe, se poursuivant sur un tracé rectiligne, il était prévu pour être fermé par une porte coulissante comme celles qui devaient être installées dans la carrière de Savonnières-en-Per­thois. Long de quelque 350 mètres, il pouvait recevoir un convoi constitué réglementairement, tiré par un ou deux locotracteurs, et transportant au plus 20 V2 manuten­tionnées par des monorails ancrés au ciel du tunnel et se prolongeant dans trois trémies, également parcourues par une voie ferrée étroite. Chaque ensemble de trois wagons portait donc deux A4 accompagnées de leurs charges, des accessoires, des accumulateurs et des déflecteurs en graphite. Ensuite les fusées, déposées sur des chariots ou des wagonnets, étaient réparties dans l'intérieur de la carrière où des emplacements avaient été prévus à cette fin.

Ci-contre, chaque rectangle de couleur représente donc un ensemble de 3 wagons, long de 32 mètres, transportant deux fusées A4 et leurs accessoires (information d'Yannick Delefosse), les locotracteurs supposés étant figurés en rouge.
A noter que, si parfois on évoque l'éventualité d'un prolongement de ce tunnel vers le sud-ouest pour le faire déboucher en toute rigueur vers la voie ferrée, la consultation d'une carte et la comparaison des altitudes anéantit cette hypothèse. Le sol du tunnel avoisine les 40 mètres NGF, et le plus proche raccordement ferroviaire exigerait de l'élever jusqu'à 66 mètres en à peine 800 mètres. C'est une pente un peu raide pour une voie normale. Secondement, dans le prolongement du tunnel existant l'altitude de la route est de 45 mètres. Le tunnel, haut de 8 mètres, aurait donc crevé la chaussée. Il est plus raisonnable d'abandonner ce fantasme. De plus, en août 1944, le dépôt est considéré comme terminé à 90 %. S'il avait fallu encore creuser au minimum 800 mètres de galerie de la même section, l'état d'achèvement n'aurait sûrement pas été de 90 %...
Ci-dessus, à côté de la vue classique de la casemate de mitrailleuse protégeant l'entrée, l'aspect de la fente où aurait circulé la porte blindée. C'est un moteur fixé sur son té supérieur qui la déplaçait par l'intermédiaire de galets de roulement.

Ci-après, trois vues inhabituelles prises grâce à Eric Spiderman : une depuis la casemate vers le tunnel, et deux de l'intérieur de la casemate, montrant par le haut le chemin de roulement de la porte suspendue (de part et d'autre de la fente sont visibles les ancrages des chemins de roulement en tôle) et l'aspect intérieur de la plaque d'embrasure dirigée vers la porte. Aucun accès n'est prévu. Le seul moyen de parvenir dans la casemate aurait été une échelle scellée dans la tranche de la porte coulissante.
Bien que proche de l'achèvement, ce dépôt ne reçut jamais aucune V2, mais fut tout de même utilisé comme poste de chargement de batteries de V2. En effet, les équipements électriques de la fusée étaient alimentés par des batteries embarquées, deux 3T92 au plomb (ce ne sont pas des accus de fer) pour alimenter les vannes électromagnétiques des réservoirs d'alcool, d'oxygène liquide, de perhydrol et de permanganate de sodium, et une 50NC1,3 au cadmium-nickel de 50 volts, 1,3 ampère heure, pour les potentiomètres de mesure des déviations de direction. C'est les accus au plomb de marque AFA (Akkumulatoren Fabrik Aktiengesellschaft) montés en série, de 32 volts nominaux mais 27 volts au minimum en charge, 20 ampères heure, qui recevaient leur charge dans une salle spécialement aménagée installée dans la carrière de la Louisette, presque en face de l'ancienne descenderie. Il semble que les installations de charge étaient déjà fonctionnelles en février 1944, ainsi qu'un stock d'accumulateurs, la capacité de la station étant fixée à 10 000 batteries. Ces installations ne sont pas restées longtemps en service parce que sabordées par les Allemands eux-mêmes lors de l'évacuation du 11 au 19 août 1944.
Supra, l'enfilade des salles de charge au sol soigneusement carrelé : la première est celle des tableaux de commande et des cadrans indicateurs, les pièces suivantes, dont les parois portent des consoles, reçoivent les accus à charger. La dernière comportait des loges en béton au-dessus d'un bac de rétention. Les salles sont climatisées par des aérothermes système Westinghouse, vendus par la société PRSM, rue Amelot à Paris dans le onzième arrondissement. C'était bien aimable aux Allemands de faire vivre les petits commerçants français vendant du matériel américain. Quant à l'intéressante empreinte du logo B&W, c'est soit Babcock & Wilcox, fabriquant des générateurs de chaleur, soit plutôt la marque du carrelage, à déterminer...
Ci-contre et ci-dessus, le résultat des sabotages d'août 1944, qui ont sans doute été suivis d'un délassement semblable par d'autres individus, combattants ou non. En effet, les grenades qui sont posées sur un couvercle de batterie sont d'origine américaine. A gauche, le bac en verre montre à la fois le logo AFA et l'acronyme Varta (filiale de AFA pour la distribution). Les accus au plomb ne comportant pas ce genre de bacs, il est très possible qu'ils soient des contenants pour les batteries alcalines au cadmium-nickel, les 50NC1,3 de 50,4 volts nominaux.
Ci-dessus à gauche, un joli petit graffito dans une salle de charge, daté de 1944 et soigneusement gravé.

Mais, dans une galerie voisine du complexe électrique, restent plusieurs caisses, plusieurs débris serait plus juste, marquées MIOM, acronyme de la Manufacture d'isolants et d'objets moulés, filiale de la Compagnie générale d'électricité. Renseignements pris auprès du responsable du site consacré aux appareils de photo Photax, eux-mêmes fabriqués par cette manufacture, qui m'a aimablement répondu, ce genre de caisse, avec ce logo, est datable entre 1937 et 1945. Le matériau est une sorte de bakélite, la « cégéite », brevetée par la CGE. Hélas, nous restons dans l'ignorance du contenu. Mais cette galerie n'ayant clairement jamais été beaucoup fréquentée depuis la guerre, il semble assuré que ces caisses ont un rapport avec l'utilisation des salles, à moins que les Allemands y missent le produit de leurs fouilles ?
Champignons lyophilisés
En 1966, Bernard Zinetti, champignonniste à la carrière du Rû, vendant sa récolte essentiellement sur le marché du frais, eut l'idée d'en transformer une partie par lyophilisation, sous la marque Gwendalina. L'opération était assurée par une usine de Nestlé, encore indéterminée malgré le recours infructueux aux archives de cette société. Il fallait 10 kilos d'agarics frais pour produire 1 kilo de champignons lyophilisés. M. Zinetti présenta cette innovation au salon de l'Agriculture de 1966, obtint même une récompense, mais, précurseur en ce domaine, eut hélas à essuyer les plâtres, il est même possible que le peu de succès, insuffisant pour récupérer l'investissement, l'ait contraint à cesser son activité vers 1972.

Il reste, comme témoignage, chez l'un ou l'autre particulier (mais pas dans la carrière) quelques bocaux de ces champignons.
Carbidimites, hélictites et autres trompettes de Chavenay
Dans mes pages sur la carrière du Couvent à Saint-Leu-d'Esserent, j'écris ici quelques lignes sur ces étonnantes concrétions appelées trompettes de Chavenay, ou encore hélictites ou carbidimites, où j'expliquais de façon succincte le peu qu'on sait de leur formation et surtout déplorais leur raréfaction par suite de la disparition de l'éclairage à l'acétylène et de la diffusion sournoise de prétendus scrupules écologistes mal venus.

Mon ignorance des processus physico-hydro-bio-chimiques ne m'a pas empêché de tenter la constitution d'un élevage personnel. Aussi, armé d'une Einheitslaterne 37, je l'ai déchaulée il y a quelques années sur une corniche horizontale dans un recoin abrité des courants d'air de la carrière du Rû. Pas spécialement confiant dans les résultats de l'expérience, j'y suis retourné avec un espoir mitigé trois ans après. Et là, ô miracle, moult carbidimites se pressaient avec ferveur pour m'accueillir ! Evidem­ment, les ayant laissées grandir sans surveillance pendant ce temps, il m'est impossible de savoir à quel moment elles ont commencé leur développement et selon quelle courbe.

Ci-après quelques-unes parmi les innombrables formes que savent présenter ces jolis spéléothèmes : tubes cylindriques, vases, bulbes, hélices, flûtes à champagne, boules, les uns agrémentés d'une goutte d'eau, les autres vides, ce qui ne signifie pas secs. La théorie selon laquelle des bulles d'acétylène continueraient de se dégager du déchaulage en entraînant de l'eau dont la calcite se déposerait autour desdites bulles dans des cercles de plus en plus larges ne paraissant pas très solide, il faut penser à d'autres processus, mais de toute façon sans certitude. Par exemple, Louis Médard a rappelé dans les Explosifs occasionnels, au chapitre de l'acétylène, que diverses impuretés du carbure de calcium se retrouvent dans le déchaulage, telles que du carbure de silicium, des siliciures de calcium qui ne s'hydrolysent que lentement, particulièrement dans l'eau de chaux si l'humidité ambiante imprègne encore le déchaulage, et du cyanure de calcium sous la forme de sulfocyanure. C'est peut-être là que se trouve la clé de la formation des trompettes, associée éventuellement à un processus organique. La réponse n'est pas pour demain.
La prison du baron Empain
Enlevé près de son domicile le 23 janvier 1978, le baron Edouard Empain fut d'abord séquestré dans la carrière du Rû, sous une tente de camping montée dans un recoin d'anciens ateliers, choisi de telle sorte qu'aucune lumière en émanant ne pouvait être accidentellement visible, et inversement. Aggravant ces conditions dignes du mitard, il était attaché à un anneau que des carriers autrefois scellèrent dans une paroi. C'est ici qu'une phalange lui fut sectionnée, après sédation, pour accréditer la demande de rançon. A ce moment, la carrière n'était plus exploitée, ni par les carriers ni par les champignonnistes, aussi les patrouilles des ravisseurs n'ont jamais rencontré personne. Certains étant armés, ça aurait pu mal se terminer, d'autant que le séjour dans ce milieu perçu par eux aussi comme menaçant, dans l'obscurité, le silence immuable, le désert des longues galeries interminables, commençait à les rendre nerveux. Aussi, au bout de trois semaines, tout le monde déménagea, abandonnant tente et vestiges de nourriture. La suite se trouve en ligne et, mieux, dans le livre d'Alain Caillol, Lumière.

Une expédition où participait ce dernier, accompagné de pompiers du Val-d'Oise et de correspondants de la presse, fut organisée en 2012 dans la carrière pour retrouver l'endroit. Faute de se diriger où il fallait, l'expédition fut infructueuse. C'est en 2014 qu'avec M. Thomas je cherchai et repérai la cellule.
Alors qu'on ne trouve pas beaucoup de boîtes de conserve dans le reste de la carrière, les abords immédiats de la cellule du baron en contiennent quelques-unes. Or nous savons que pendant trois semaines ce fut la base des repas d'Edouard Empain, aussi bien que de ses ravisseurs...
Remerciements et sources :

MM. Hennocque
Yannick Delefosse
Eric Laforgerie
Alain Caillol
Michel Ancel (pour MIOM et Photax)
Michel Carpentier (pour la fédération des champignonnistes)
Ralf Blank, Energie für die Vergeltung, Die Accumulatoren Fabrik AG Berlin-Hagen und das deutsche Raketenprogramm im Zweiten Weltkrieg
A4-Lehrbuch der Fernraketen-Schule
Wolfgang Gückelhorn & Detlev Paul, V2 gefrorene Blitze



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